LA MEUSE,
est un joli carré long de verdure, traversé dans sa diagonale est-ouest par le large lit de sa rivière.
La rivière Meuse a creusé son chemin entre les côtes du même nom ,sur son flanc dextre, et les côtes de Bar.
Le plateau du barrois s' étale à l' ouest des cotes de Bar.
Il est tranché en son milieu par un cours d' eau plus modeste, comme aligné au cordeau, parallèlement à la Meuse: l' Aire, qui appartient au bassin de la Seine.
L' extrémité sud-ouest du plateau est sillonnée d' autres affluents de la Seine: la Chée, l’ Ornain, la Saulx.
Le haut des côtes de Meuse surplombe la Woëvre, plaine agricole humide semée d' étangs et de forets.
Enfin, la ligne sombre de l' Argonne, forme la frontière ouest du département, d' un vaste massif boisé, constellé des flaques sombres de ses plans d' eaux.
A l' ouest, s' étend le vaste plateau de la Champagne.
Séré de Rivières: d' une guerre à l' autre
Après la défaite de 1870 qui vit l' annexion d' une partie de la Lorraine et de l' Alsace au territoire allemand.la France se dota d' un rideau défensif difficilement franchissable. C' est au général en chef du génie: Séré de Rivières que revient la lourde tâche d' établir celui-ci.
Ce rideau était constitué de places fortes: Verdun, Toul,Epinal, Belfort; entourées d' une ceinture de forts dont les principaux entre Toul et Verdun sont ceux de: Génicourt, Troyon, Les Paroches, le camp des Romains, Liouville, Gironville et Jouy sous les côtes.
Cette écharpe défensive culminait sur les Hauts de Meuse, en regard de la plaine de la Woëvre.
Derrière ce rideau défensif, était stationnée une noria de régiments dont le 154 ème de Lérouville, et le 166 ème: régiment de Verdun. La 15ème compagnie de celui-ci, défendait le fort de Troyon.
DES ORIGINES
Cyrille FOURNIER avait tiré le mauvais numéro!. Il était donc allé au régiment, le 154 ème précisément, de Lérouville. A cette époque et jusqu' en 1913, le service militaire durait deux ans. Ensuite il fut porté à trois ans.
Aucunes perspectives d' avenir ne lui étaient réservées dans son village natal de Saint Pierre Brouck, dans le Nord. Il décida de se fixer à Lérouville.
Cyrille était l' aîné de cinq enfants.
Ses parents étaient ouvriers agricoles, sans biens propres, car Théodore, son père, était de naissance illégitime. Comme tant d' enfants, à une époque où les maîtres profitaient sans vergogne de leurs servantes, pour les jeter à la rue, une fois engrossées.
Théodore avait épousé une fille bien courageuse: Marie Michel. Elle épaulait de son mieux sa mère veuve depuis 1865.
Ils étaient venus s' installer dans le village de l' oncle de Marie: Pierre Minne, qui leur avait donné avec l' aide de sa femme: Marie-Louise, un sérieux coup de pouce, en acceptant de prendre Théodore comme domestique agricole.
Les Minne n' avaient pas d' enfants et considéraient un peu Marie comme leur fille.
Et puis Théodore était rude à la tâche, habitué qu' il était à travailler dur pour gagner sa croûte. De toute façon, c' était toujours mieux que garçon brasseur, son précédent métier, qui l' exposait aux vapeurs de fermentation à l' en dégoutter à tout jamais, de boire de la bière.
Le sentiment de revanche était exacerbé dans ce grand quart Nord-Est en ce temps-là. La pilule de 1870 était difficile à avaler.
Comme on regrettait la grossière erreur de Sedan!.
Le nationalisme était entretenu par les instituteurs, qui dès le plus bas âge moralisaient l' amour de la patrie, l' envie d' en découdre avec les boches, pour leur reprendre notre bien!.
En fait, les directives du ministère de l' enseignement, étaient probablement inspirées par nos chers industriels, soucieux d' avoir été spoliés des bassins houillers du Nord de la Meurthe et Moselle et de la Moselle.
L' argent, pour les grands, c' est la patrie des pauvres!.
Les uns vont au casse -pipe, les autres tirent les marrons
du feu!.
Quitte à partir, Cyrille voulait que ce soit le plus utilement possible.
C' est comme ça qu' il se retrouva versé au 154 ème régiment d' infanterie, qui assurait l' arrière-garde des forts de Liouville et Gironville.
Lérouville est une petite bourgade, qui tire son importance de ses carrières ainsi que du noeud ferroviaire de sa gare placée à la croisée des axes Paris-Nancy / Commercy-Verdun. La plaine qui s' étend à l' Est du village est parcourue par les voies ferrées, le canal de l' Est et la Meuse.
Lérouville était même dotée d' un port et avait une activité commerciale non négligeable.
Son temps terminé, Cyrille trouva une place de valet de chambre dans l' auberge de ce bon Jean-Claude Robert qui accueillait si souvent les fantassins du 154 ème.
Son auberge portait un joli nom: "la Providence". Un petit jardin entourait la maison.
Un mur armé de grilles fermait l' enceinte et donnait à l' ensemble l' allure d' une maison bourgeoise, d' une pension de familles, beaucoup plus engageante que l' austère "Hôtel de la gare", fréquenté par la nombreuse clientèle du chemin de fer.
Du reste, l' auberge accueillait quelques voyageurs venus chercher là une nuit plus paisible, car elle se trouvait en retrait de la grand-route, rue du port, à la sortie de Lérouville en direction de Pont / Meuse.
Une amitié, mêlée de respect, s' était nouée entre Jean-Claude et Cyrille qui était plus jeune de 17 ans, et aurait pu être son fils.
Et puis Cyrille connaissait bien la clientèle pour avoir fréquenté l' auberge pendant deux ans avec ses conscrits.
Celle-ci était constituée dans sa majorité de sous-officiers et d' officiers du 154 ème.
Cyrille était franc du collier, ce qui plaisait à Jean-Claude, parfois même un peu trop. Il aurait eut tendance à dire ses quatre vérités aux gens et chacun sait que toutes les vérités ne sont pas toujours bonnes à dire.
Cyrille toisait 1m70 grand maximum, les tempes dégagées, une petite moustache, il coiffait ses cheveux châtains en arrière. Il avait ainsi le front dégarni, au dessus de pommettes saillantes.
L' ensemble de son visage semblait taillé à la serpe, son menton pointu donnait à celui-ci, l' apparence d' un triangle pointe en bas. Son regard vif trahissait une certaine nervosité.
Cyrille aimait parler, échanger des idées.
Parfois cet amour du dialogue le conduisait à dire n' importe quoi et surtout des choses qui dépassaient sa pensée et qu' il n' aurait pas forcément dites, s' il y avait réfléchi un tant soit peu!.
Il aurait été facilement "hâbleur"!.
Mais il était généreux, altruiste, parfois au delà de ses
intérêts.
Il dégageait de la sympathie et Jean-Claude ne s' y était pas trompé.
Jean-Claude Robert avait un ami dans la profession: Jules Tessez. Jules était aubergiste à Pont / Meuse. En fait, son commerce comprenait une épicerie, le tabac, le débit de boisson. La salle de son café était suffisamment grande pour pouvoir accueillir, le cas échéant, des banquets. A l' étage, il y avait deux chambres, et Jean-Claude envoyait à Jules les clients qu' il ne pouvait plus loger, faute de places.
La rue du port reliait Lérouville et Pont / Meuse. A une des extrémités se trouvait "La Providence", à l' autre: "Chez Jules".
L' auberge de Jean-Claude se trouvait accolée à la voie ferrée, le café de Jules était niché en contre bas du parapet de la route, qui enjambe, à l' entrée de Pont sur Meuse, la Meuse justement.
A égale distance des deux passait le canal de l' Est.
"Chez Jules" drainait une clientèle de carriers, tâcherons, mariniers, alors que "La Providence" voyait plus volontiers passer des gens du chemin de fer en panne de gîte, lorsque l' hôtel de la gare était bondé, sans oublier les militaires.
L' auberge de Jules était modeste et lorsqu' il lui arrivait de servir des repas, à l' occasion de la fête patronale, d' une foire ou d' une noce, il demandait un "extra" à Jean-Claude. A cette époque le système D fonctionnait à fond et on s' entraidait naturellement, à charge de revanche. C' est comme ça que Cyrille connu Jules. Il venait lui donner la main pendant les moments de bourre.
Jules avait recours également aux services d' une jeune fille du village, une belle brunette qui travaillait comme couturière à la bonneterie de Commercy. Tous les matins, Marie Faxel, partait avec son père Victor en direction de Lérouville. Son père bossait comme carrier à Lérouville, Marie prenait le train pour Commercy.
En ce temps-là, la Meuse comptait de nombreux tissages, filages, broderies, bonneteries, répandus sur tout le département,à proximité d' un court d' eau qui fournissait la force motrice.
Les plus importants se trouvaient concentrés aux alentours de Vaucouleurs.
En 1845, Vaucouleurs, qui gardera au fil du temps cette spécialité, abritait quatre tissages de coton et sept bonneteries. Bien sûr les temps étaient durs et la situation des métiers du fil s' était bien dégradée depuis la révolution de 1789. Les effectifs des ouvriers du coton avaient chuté de moitié en un siècle!.
On y avait gagné,soit disant, en respect du citoyen et encore, les bourgeois avaient vite remplacé les nobles dans le rôle de profiteurs du bas peuple. Mais en plus ils étaient avares et enclins au marchandage, chose que n' aurait jamais fait un noble de peur de manquer à son rang!.
Victor Faxel s' arrêtait quasiment tous les jours "Chez Jules" pour boire un canon en fin de journée. Cette sacré poussière de pierre vous colmatait tout l' intérieur et il avait bien besoin de se décrasser un peu le gosier pour s' ouvrir l' appétit. Et puis, ça discutait ferme de l' actualité au café, une actualité toute terre à terre: les cours du commerce local, la vie de la localité et parfois à la faveur des étrangers de passage: de politique!.
C' est tout naturellement que Victor avait proposé à Jules les services de Marie. Ça renforçait sa considération et puis de temps en temps, il profitait de la tournée du patron!.
Marie ravaudait le linge de l' auberge et parfois servait en salle.
C' est comme ça qu' elle connu Cyrille.
Cyrille dégageait un je ne sais quoi de charmeur, qui plu tout de suite à Marie.
Cyrille savait jouer avantageusement de ses talents. Il était fier de sa personne et sûr de lui. Et puis il était étranger au village, ce qui était un avantage pour plaire aux filles, qui sont plus promptes à sourire à la nouveauté qu' au tout venant!. Marie n' en avait jamais tant vu!.
C' était à l' automne 95. Le mois d' octobre était brûlant et rappelait les chaleurs de début Août, mais avec des matins brumeux et un soir précoce. Depuis deux mois, Marie couvait Cyrille du coin de l' oeil. Tous les matins ils se guettaient lorsque Marie passait devant " La Providence" pour prendre son train, et ils se faisaient un petit signe de la main.
Elle se retrouva enceinte à tout juste dix-neuf ans.
Cela fit scandale chez les Faxel. Victor était furieux de n' avoir rien vu venir. Il se reprochait d' avoir facilité ce rapprochement et de l' avoir encouragé tous les matins à son nez et sa barbe!.
Il se plaignait à Jules:
- Qué n' vam' Victor ?,
- T' as raison Jules, ça ne v' am'. Tu peux te vanter d' avoir mis le loup dans la bergerie. Et moi qui n' ai rien vu venir!.
- Tu veux parler des jeunes ?,
- De qui veux-tu que je parle ?,
- Cyrille est un bon gars, pis pas feignant avec ça!.
- Non mais t' as vu l' asticot, toi ?, moins gros qu' un moineau qui mange pas!. J' espérais mieux pour ma Marie. Et pis, y z' ont fauté!.
- Tu sais les jeunes maintenant, y nous attendent plus pour rigoler!.
- Mais quand même, la Marie n' est même pas majeur!.
- Ça ne l' empêchera pas d' être une bonne mère.
- Et pis le Jean-Claude il a de l' âge, qu' est-ce qui va foutre mon futur gendre quand y va arrêter ?.
- Ben justement, le père Robert connaît le nouveau directeur de l' école normale de Commercy, y paraît qu' il cherche un concierge, on va lui en causer deux mots.
Une union fut décidée en hâte. Le mariage fut fixé au 15 février 1896. Jules et Jean-Claude avaient consenti à être les témoins du marié.
Marie avait demandé à son oncle Victor et à Camille Fesneaux, un ami de la famille Faxel qui bossait à la S.N.C.F. de Reims.
Le père Hannus, curé de Boncourt et de Pont célébra le mariage.
Il avait été décidé d' un commun accord que Jules nourrirait la noce. Et tant bien que mal, on s' amusa quand même. Sauf le père de la mariée qui faisait grise mine dans son coin!.
Le fruit de cette union vit le jour en cette soirée du 3 décembre 1896, peu de temps avant la Saint Nicolas.
Marie et Cyrille avaient longuement discuté du prénom du futur bébé et le choix s' était arrêté sur Hélène pour une fille; René pour un garçon.
Depuis l' été, ils avaient intégré leur nouvelle fonction: concierges de l' école normale de Commercy.
Cyrille s' était présenté, sur les conseils de Jean-Claude à Mr Liodon, le directeur, et l' affaire avait été conclue. Marie assurerait le rôle de "portière" et Cyrille ferait les nombreuses commissions de l' école. Le tout pour un traitement de 800 francs à l' année, logement fourni, naturellement.
Ils s' installèrent donc, au 38 rue grande de Breuil avec leur modeste bagage. Cyrille ne possédait qu' une vieille malle dans laquelle était bourré tout son barda de célibataire. Victor et Célestine, les parents de Marie avaient offert au couple, une armoire et un lit, vieil héritage de famille du côté de Célestine. Jules et Jean-Claude avaient fourni une table et des chaises ainsi que du linge de chambre.
Bien sur on ne vivait pas chichement, mais Cyrille qui n' avait jamais vécu que chez les autres, était très heureux de ce petit nid personnel qui marquait enfin ses vrais débuts dans la vie et le fondement de sa famille.
Le logement des concierges était étroit: une petite cuisine attenante à l' accueil et deux pièces. La cuisine donnait sur la rue et l' accueil sur la cour d' honneur.
L' école normale de Commercy faisait face à une petite place triangulaire équipée d' une fontaine-abreuvoir. L' entrée principale était fermée d' une lourde porte en fer forgé, à double battants. Elle était surmontée du nom de l' établissement écrit également dans le fer et était cantonnée de deux lourds piliers surmontés de vasques en pierre.
L' enseignement dispensé dans cette école aux futurs instituteurs était très éclectique: mathématique, chimie, physique, météorologie, botanique, forge, escrime, gymnastique sans oublier les connaissances générales.
L' école normale avait été transférée en 1854 à Commercy dans cet ancien prieuré bénédictin, un austère bâtiment en U dont le rez de chaussé semblait construit à la manière d' une halle marchande.
Les murs de celui-ci étaient munis d' arcades en plein cintre et le tout était renforcé d' énormes contreforts en pierres taillées. L' ancienne attribution du bâtiment pouvait être devinée à la lecture de certains indices.
Un fronton triangulaire surmontait l' étage du corps central et délimitait une petite niche où étaient accrochées deux cloches servants à sonner les offices.
L' arrière du bâtiment donnait sur un petit cours d' eau qui avait été équipé d' une déviation alimentant un bassin d' élevage de truites.
On franchissait le ruisseau par un petit pont qui conduisait à un immense parc où les moines devaient s' adonner à l' agriculture. Enfin, à gauche du parc s' ouvrait un potager.
Le logement des concierges était accolé au pilier droit de l' entrée. Une fois passée la porte, on entrait dans un petit jardin appelé: cour d' honneur. Ce jardin avait la forme d' une poire. Il était bordé à droite et à gauche de hauts murs qui fermaient les cours de récréation des normaliens.
La cour de droite sur laquelle donnait les fenêtres des Fournier comprenait, attenant à leur appartement, un hangar sous lequel était empilé le bois pour l' hiver, une volière et un pigeonnier.
René était un beau bébé de sept livres passées, que la sage-femme n' avait eu aucun mal à faire venir aux alentours de dix-huit heures.
L' enfant avait vagit sitôt sorti, ce qui était bon signe. Marie chinait Cyrille:
- Quel beau bébé, s' exclamait-elle , émerveillée!, tu ne trouves pas mon chéri ?.
Cyrille était aux anges. Fier comme Artaban, il était allé, le lendemain, déclarer la naissance de René à l' officier d' état civil.
René avait une balle ronde, des yeux marrons et de cours cheveux châtains. Sa bouche était minuscule et Marie se plaisait à la comparer à un "cul de poule", tant elle était menue et prompte à se refermer sur une moue très sérieuse.
Le baptême fut célébré le dimanche 2 février 1897 à Pont. Marie et Cyrille avait choisi comme parrain, l' Eugène Poirson, un ami de la famille. Et comme marraine, la tante de Marie: Berthe, la femme d' Edouard, le frère de Victor qui travaillait comme terrassier à Vaucouleurs.
C' est d' ailleurs par lui que Marie avait trouvé, à l' époque, cette place de couturière à Commercy.
Le père Hannus était décédé courant de l' été 96 et c' est le nouveau curé de Boncourt et Pont, le père Reneaux, qui porta René sur les fonds baptismaux. L' enfant, surpris par l' eau qui lui saisit le front, se mit à crier comme un beau diable tombé dans un bénitier. L' abbé souriait. C' était un de ses premiers baptêmes et il rayonnait, fier de sa mission!.
La conciergerie de l' école normale,comme nous l' avons dit, était sobre .
L' accueil, équipé des casiers des professeurs donnait sur une petite cuisine où n' entrait que le facteur. Cette pièce était munie d' une pierre à eau surmontée de sa pompe, ainsi que d' un poêle, d' une table et de quatre chaises. Deux autres pièces étaient accolées à celles-ci.
La première aurait pu servir de salle à manger mais les époux avaient décidé d' un commun accord que faute de meubles cette pièce serait la chambre du futur bébé. La suivante, leur servait de chambre à coucher.
A la naissance de sa petite soeur, Hélène, René avait tout juste dix-huit mois et il faisait un bien jeune parrain.
Il vit arriver cette boule vagissante d' un mauvais oeil.
D' autant plus que celle-ci dévorait la poitrine de sa mère avec une ardeur impudique.
René grandit dans cet environnement austère, qui lui convenait parfaitement, car il était de santé fragile . Les hauts murs de la cour des maîtres auxiliaires protégeaient cet endroit où ses parents le laissait jouer. Il s' inventait un monde imaginaire où vagabondaient les héros des histoires que lui racontaient les étudiants et qu' il ne comprenait pas toujours, les poules de la volière, les pigeons, les branches du bûcher dont les formes l' effrayaient parfois.
Pendant l' été 1902, René se mit à faire des poussées de température dans lesquelles il délirait. Ses parents étaient dans l' angoisse à tel point que Cyrille n' y tenant plus, le conduisit à l' hôpital, qui se trouvait à quelques pas de là, ruelle de l' étang. René avait cinq ans et demi.
De son séjour à l' hôpital qui dura cinq jours, il ne se rappellera que peu de choses: la gentillesse des soeurs lorsqu' elles le baignaient ainsi que la promesse qu' il faisait chaque jour à sa mère d' être bien sage pour pouvoir recevoir sa visite. Les médecins diagnostiquèrent une méningite, à la raideur du corps de l' enfant.
Il se remit sans séquelles apparentes mais il restait maladif.
Il vomissait souvent, surtout lorsqu' il était fatigué, ce qui dénotait une faiblesse de la vésicule, avait dit le médecin. L' hiver, il jouait rarement dans la neige car l' humidité lui donnait des douleurs dans les genoux.
Ces ennuis de santé lui donnait une nature sensible voire irritable. De plus sa mère le protégeait et ça l' incitait à venir pleurer dans ses jupes. Il n' aimait pas perdre et s' emportait facilement. Il pleurait pour un rien et avait peu de copains.
Du reste, il préférait s' occuper à des jeux calmes, solitaires. Il aimait dessiner, colorier ou jouer avec ses soldats de plomb, s' inventer des histoires qui l' emportaient dans des rêveries infinies.
Il était doué pour le dessin et surprenait ses parents par la précision de ses reproductions. Il puisait ses modèles dans le petit catéchisme.
Parfois son père l' emmenait au jardin. Ils sortaient par le portail central pour pénétrer dans la cour du gymnase, par la porte gauche.
René n' aimait pas ce chemin qui le conduisait devant la face hideuse de la pierre angulaire du berceau central. Cette pierre était sculptée d' un masque grotesque qui effrayait René.
Pour accéder au jardin, il fallait passer sous la porte cochère à gauche de la cour, emprunter le petit pont de pierre qui enjambait le "Breuil" et laisser le pourrissoir sur sa gauche. Le jardin botanique était fermé d' une grille en fer forgé.
Cyrille, en sa qualité de concierge bénéficiait des deux premières banquettes. Il avait confectionné dans de vieux outils, de quoi jardiner à René: une petite raclotte et un petit kâ. Il avait donc son petit jardin, dans lequel il faisait pousser un pied de pois et quelques fleurs.
Parfois il échappait à la surveillance de son père. Il se coulait hors du jardin et revenait au petit pont pour jeter des cailloux dans l' eau claire du "Breuil".
Cyrille le rejoignait inquiet:
- Qu' est ce que tu bassotes NéNé?,
- Rien P'pa,
- Je ne veux pas que tu t' approches de l' eau!. Tu ne peux pas bricoler dans ton carré?.
Sa mère pour le punir, lui racontait les histoires du petit chaperon rouge, sorte de mauvais génie des eaux, qui venait attraper les petits enfants pour les emmener avec lui sous l' eau.
Sa scolarité n' était pas exceptionnelle. Il avait des facilités et possédait en particulier une très bonne mémoire, mais il était très étourdi, ce qui n' est pas une chance en français.
Les règles de grammaire lui causaient le plus grand mal, car il les apprenait par coeur, sans pouvoir prévoir les exceptions. Sa mémoire le prédisposait à aimer l' histoire, la géographie et les sciences naturelles.
Il aimait particulièrement ces moments où son père commentait l' actualité.
Des rivalités coloniales opposaient la France à l' Allemagne. En 1905 et 1907 ce furent les crises du Maroc. Les Anglais et les Allemands, quant à eux, rivalisaient en matière de construction navale pour enlever la suprématie sur les mers. C' était la course à l' armement et Cyrille était inquiet.
En 1908, l' Autriche-Hongrie annexa la Bosnie-Herzegovine pour s' assurer un débouché sur la mer Adriatique, ce qui déclencha la colère des Serbes soutenus par le chevalier servant de leur cause: la Russie.
Tout cela n' augurait rien de bon.
René passait ses vacances à Commercy ou à Pont, chez ses grand-parents maternels. Son grand-père le faisait pêcher dans une cuvette d' eau ou l' emmenait avec lui à la pêche, dans la Meuse ou le canal.
De temps en temps, sa grand-mère l' emmenait se tremper les pieds dans la rivière. Il jouait à donner de l' herbe aux lapins mais ne parvenait pas toujours à refermer le clapier. Sa grand-mère le grondait gentiment:
- T' es mout nice mon gamin.
Parfois, une idée saugrenue lui passait par la tête. Il fut surpris un jour par sa grand-mère, à mettre le feu dans la huche à bois. Il aurait facilement volé, puis mentait, en soutenant mordicus que ce n' était pas vrai, même pris la main dans le sac!.
Il décrocha son certificat d' étude avec mention passable et entra aux forges de Commercy, en apprentissage, pour fabriquer du fer à cheval.
Commercy était la capitale du fer à cheval.
En 1841, Stanislas Demimuid, propriétaire des hauts fourneaux de Longeville et de Daimville, déposa un brevet pour une machine à fabriquer les fers à chevaux. Ces fers dits "mécaniques", feront la réputation de la cité.
En 1862, l' usine est rachetée et modernisée par Rémy Grosdidier, propriétaire de la tréfilerie de Void-Vâcon et des moulins de Commercy.
Cyrille avait imaginé, avec juste raison que le passage du gabarit à la réalisation, de l' abstrait au concret, plairait à René.
Et effectivement, la forge, l' emboutissage lui plut au plus haut point!. Partir du lopin et économiser le long martelage à chaud du fer, le sidérait.
Son esprit rêveur était comblé, il avait l' impression d' être utile et ce travail manuel commençait à modeler son physique.
Depuis quelques temps, René accompagnait des copains à l' aviron. A ce rythme, il attrapait des épaules musclées, des bras noueux et des jambes solides. Parfois, il sortait seul en canoë et s' amusait à tenir tête aux skiffs, beaucoup mieux profilés que son embarcation et beaucoup plus légers.
René n' était pas grand, puisqu' il mesurait 1m65, mais il était devenu très solide et il en tirait une certaine satisfaction. Sa stature lui permettait de sortir enfin au bal, sans être ridicule. Du reste, il n' était pas moche. Il plaisait aux filles et le savait!.
Son travail à la forge le passionnait. La presse donnait la forme et l' ajusture. Ensuite, il fallait percer les étampures puis extraire le ou les pinçons. L' usine fabriquait également du matériel de maréchalerie; Toutes les sortes de pinces: à river, à parer, les pinces à corne; Des tenailles, les mailloches et autres marteaux,les tricoises à déferrer, les dégorgeoirs, les dérivoirs. Sans oublier les enclumes munies de leurs ciseaux à éponges et d' une tranche bigorne large avec ou sans nids d' hirondelles pour tirer les pinçons.
Tous ces noms le faisait rêver!.
Enfin l' usine produisait toute une série de fers correcteurs de problèmes orthopédiques. La diversité de ces fers était prodigieuse!. Sans oublier les fers à mulets, les fers à boeufs, les crampons, les clous.... .
René exerçait le noble métier de mouleur de fers jusqu' à son incorporation sous les drapeaux, le 10 avril 1915.
Entre-temps, l' Allemagne avait déclaré la guerre à l' Europe.
Le 28 juin 1914, l' archiduc François-Ferdinand et son épouse avait été assassinés à Sarajevo par un étudiant bosniaque pro-serbe.
La Grande-Bretagne avait fait le mort sur cette affaire, laissant croire à l' Allemagne qu' elle avait les coudées franches pour régler ce conflit.
Le 28 juillet, l' Autriche-Hongrie déclarait la guerre à la Serbie. Le 31 juillet, le pauvre Jaurès fût la première victime du conflit. Le 3 Août, l' Allemagne déclarait la guerre à la France. Le 4 Août, l' Angleterre, furieuse que l' Allemagne ait envahie la Belgique, déclare la guerre à celle-ci.
Pendant la première quinzaine d' Août, les Français et les Allemands procèdent à une concentration de leurs forces.
Ils s' attachent essentiellement à mener des missions de reconnaissance.

Le 20, les Français lancent une offensive en direction du Nord-Ouest, qui est immédiatement bloquée par l' ennemi.
Du premier au 10 septembre, les Français reculent sur tout le front, ce qui permet aux Allemands de contre-attaquer telle une coulée de boue, de part et d' autre de la forêt d' Argonne, en direction de Paris et de la Manche.
Ils sont arrêtés miraculeusement le long d' un arc de cercle Lille / Soisson / Verdun, au prix de violents combats.
La Marne, la Somme, la Meuse avec ses affrontements devenus légendaires: la Vaux-Marie, Verdun, le fort de Troyon, Les Eparges, le bois d' Ailly, tombeau du 171 ème R.I..
Des hommes célèbres tombent pendant ces combats:le lieutenant Charles Péguy, du 276 ème R.I. tombe le 5 septembre à Villeroy (Seine et Marne). Le 22 septembre, c' est au tour d' Alain Fournier de disparaître à Saint Rémy la Calonne, dans les Hauts de Meuse, en dessous des Eparges, avec ses hommes du 288 ème R.I. .
Partout, on s' est sorti du mauvais pas. Paris et Verdun sont sauvées.
Dès la mi-septembre, le front s' enlise dans ce qui va devenir la guerre des tranchées si dévoreuse de vies humaines.
Le service national avait été porté à trois ans en 1913. René savait donc à peu-près à quoi il s' engageait.
Le 12 avril 1915, il est incorporé au 132 ème R.I., le régiment de Reims qui s' était déjà si brillamment illustré en 14, en particulier à la Vaux-Marie et aux Eparges. Pour l' heure le 132 ème, le 13/2 comme disent les fantassins, est en reconstitution dans la région de Verdun. Entre mi-Mars et fin Avril la brigade à laquelle appartient le 132 ème reçoit 3000 hommes!. C' est dire l' état des pertes!.
René est donc incorporé sur place. Son niveau d' instruction lui confère le rang 3, c' est à dire qu' il sait lire, écrire et compter. Le 132 ème R.I. est sous les ordres, à l' époque, du Lieutenant colonel Maurel.
L' armée Française se composait de plusieurs corps d' armée (huit au total, de 40000 hommes chacun). Dans l' infanterie, le C.A. se divise en deux divisions, qui elles mêmes se divisent chacune en deux brigades. Chaque brigade compte quatre régiments de 1 100 hommes. Un régiment compte trois bataillons. Chaque bataillon se divise en quatre compagnies, elles-mêmes divisées en quatre sections de 60 hommes, chaque section compte deux demi-sections, chaque demi-section: deux escouades, l' une de grenadiers, l' autre groupée autour d' un fusil mitrailleur.
Au dessus du niveau régimentaire, le commandement était confié à un général. Un régiment était commandé par un colonel, un bataillon par un commandant, une compagnie par un capitaine, une section par un lieutenant,assisté d' un adjudant, une demi-section par un sergent, une escouade par un caporal.
La mobilisation a rappellé sous les drapeaux deux millions sept cent mille réservistes, tous convaincus que tout serait fini pour l' hiver, tout au plus!. Ce qui porte l' effectif de l' armée Française à un niveau équivalent de celui de l' armée Allemande, à savoir trois millions six cent mille soldats environs.
René fait donc ses classes au 132 ème, à Monthairons (55), au Sud de Verdun et il comprend qu' il ne supporte pas les rapports hiérarchiques!. Son esprit rebelle n' avait pas été bridé jusque là.
Dorénavant il devait supporter, avec ses condisciples, les aboiements d' un "cabot-chef" ou d' un "serpatte" pas toujours diplomate, dont la mission était de couler les nouvelles recrues dans le moule de la machine de guerre.
L' instruction militaire prévoyait: le maniement d' armes, d' autant plus que l' infanterie venait d' être dotée de nouveaux fusils-mitrailleurs; Le lancer de grenades; Le port du masque à gaz, car le bruit courait que les boches avaient utilisé des gaz asphyxiants dans le Nord; La technique d' assaut des tranchées et naturellement le maniement de la baïonnette; Enfin, le plus important: la discipline!. Obéir, sans réfléchir; Faire confiance aux capitaines ou aux sous-off. "qui en ont déjà tant vu".
- L' assaut: vous êtes aux ordres de votre chef de section, l' artillerie pilonne les lignes boches et au coup de sifflet, vous grimpez aux échelles, enjambez le parapet, courez "dare-dare" vers les lignes boches et là, vous flinguez, embrochez, "farfeûgnez" dedans à la baïonnette, faites ce que vous voulez mais zigouillez-les!.
En aparté, les anciens, rescapés du front, jouaient les souffleurs. Ils tenaient avec les "bleus", un drôle de "couârôye" et leur beau moral parti en lambeau.
Au début, ils les auraient pris pour des rabat-joies. Ils comprirent vite, au premier assaut, que rien de ce qu' ils avaient entendu n' avait été exagéré!.
- "Les merles ne chanteront plus comme des grives mes piots"!.
- Ce qu' il oublie de vous dire, c' t' haretâ là, c' est qu' entre les lignes courent un imbroglio de barbelés qui t' agrippe pour te retenir et te faire flinguer par les mitrailleuses boches.
L' hécatombe était telle que quasiment tous les régiments étaient refondus à l' arrière. Aux survivants se joignaient les recrues ou les réserves.
- Et pis, c' est pas des échelles!, ça s' appelle "l' échafaud"!, mon gars, car quand tu passes la crête, t'as pas plus de chance que sur l' estrade de la guillotine!.
- Et encore, elle tue plus vite!.
- Tu vas crever à petit feu!, de faim, de soif , de crasse.
- Moi, y m' est arrivé de ne pas pouvoir me déshabiller pendant deux mois!, et de pas pouvoir retirer mes grolles pendant quinze jours. J' étais noir comme un "charpagnatte", tout "marmousé" de poudre et de terre!.
De temps en temps, les bleus arrivaient à en placer une:
- Les tranchées, comment c' est ?.
-C' est un boyau d' un mètre de large et de deux mètres de profond. C' est ta cagna. T' y creuses un trou pour te coucher comme un rat.
- Entre les lignes, pas un brin d' herbe, que de la terre, grise, poudreuse, sans cesse fouillée par les obus.
- Et le pire, c' est quand il pleut. Tu nages dans la boue. Ça "gaûille" terrible!.
- Je me suis vu en Argonne englué de glaise, au point d' être obligé de me décrotter à l' étrille ou au couteau!.
- Une torpille tue à elle seule quinze à vingt types d' un coup.
- Un tir de barrage aux gaz asphyxiants, une douzaine de mitrailleuses et vous anéantissez un régiment entier!.
- T' as intérêt à numéroter tes "abattis"!.
- L' astuce, c' est d' avoir la danse de St Guy où la "bougeotte", comme tu veux. Ne reste jamais sur place si tu veux t' en tirer.
- Et le "no man's land", qu' est ce que c' est ?.
-Tu sais toi "l' aspi" ?.
L' aspirant s' avança. Pendant la première guerre mondiale les instituteurs étaient souvent incorporés au grade d' aspirant. Il leur dit:
- C' est les "angliches" qui nomment comme ça le terrain à découvert entre nos lignes et celles des boches. Ça veut dire, le pays de personne.
- C' est une connerie du reste car ce terrain appartient au moins aux pauvres bougres qui y gisent, c' est la terre des morts, sombre Hadès où flottent les âmes perdues et Dieu sait s' il y en a, dans cette foutue guerre!.
- Et t' as pas que des cadavres humains, y a aussi ceux d' animaux, de chevaux surtout. Ce sont les chevaux qui tirent les pièces d' artillerie ou les cantines. Des pauvres haridelles, maigres comme des clous.
- Tu les retrouves dans toutes les positions, les tripes à l' air, j' en ai même vu à la Vaux-Marie perchés dans les arbres après avoir été propulsés dans les airs par une explosion!.
Le sergent instructeur reprenait plus fort son exposé:
- Les trous de mine ou d' obus forment un entonnoir, les sapeurs du génie installent un parapet fait de branchages et de sacs de terre sur leur crête. Dès que c' est installé, il faut monter la garde pour surveiller les boches.
- Les relèves se font la nuit.
- Pour les perm., n' espérez pas trop.
- Quand ça se calme, essayez de recouvrir le corps des morts avec de la paille, de la chaux ou de la terre si vous n' avez rien d' autre.
René se retrouvait prisonnier d' un groupe qu' il aurait préféré ne pas rencontrer. Il perdait toute liberté individuelle et ça l' irritait énormément. Il passait pour un taciturne, ne blaguait pas, ne fumait même pas, car la fumée lui collait la nausée.
De plus, il était "nâreux" et s' accommodait difficilement à la tambouille du régiment.
Ses camarades essayaient de le raisonner:
- Arrêtes de te monter le "bobéchon", t' as beau faire, ça ne changera rien.
- Tu nous saoûles avec tes "hâties", quelle caboche il a!.
- "Peûte"-bête, tiens toi à carreau où tu risques de te faire flinguer. Ils ne rigolent pas avec ceux qui tirent au renard.
L' année 1915, fut une année de grignotage de terrain en Champagne et en Artois. En Meuse, elle fut l' année de combats exterminateurs: la butte de Vauquois, les Eparges, l' Argonne où les deux partis jouaient à la guerre des mines.
Chaque camp s' accrochait coûte que coûte à un flanc de butte, creusait ses tranchées et forait des tunnels à partir de la deuxième ligne, la galerie d' attaque, sous les lignes ennemies pour les faire exploser d' une bonne mine bien sentie, introduite dans un puits vertical, le fourneau de mine. Parfois, l' ennemi était le plus rapide et le tunnel partait en poussières sous l' effet d' un camouflet: un tunnel creusé sous lui.
Par chance, la classe de René était incorporée depuis trop peu de temps que pour monter à l' assaut en Artois, au mois de juin.
Il venait également d' échapper au massacre des Eparges mené par la 24 ème brigade, composée du 106 ème et du 132 ème R.I., son régiment (du 20 Février au 9 Avril). Cette attaque avait pour ambition de prendre une butte de 351 mètres, un vulgaire observatoire sans véritable but stratégique. Du 17 février au 12 avril, 64 000 hommes dont 1 200 officiers périront dans la boue pour arracher celle-ci des mains de l' ennemi!. Finalement les Français et les Allemands resteront à quelques mètres les uns des autres jusqu' à l' offensive américaine de 1918.
Le 18 Avril, le 132 ème est à Sommedieue, qu' il quitte le 25 pour se rendre à Rupt en Woëvre, puis à Mouilly, où il passe , le 10 Mai, sous les ordres du général qui commande la 48ème brigade de son P. C. de la Ferme d' Amblonville. Le secteur affecté au 132 ème est la côte de Senoux, sous la tranchée de Calonne.
Les défenses françaises, à l' est de Mouilly, s' appuyaient sur le chemin des Eparges et sur le chemin menant au calvaire situé en bas de la Gruerie, en passant par la Grande Haie.
Le 132 ème essuie surtout des tirs d' artillerie. Il reste dans ce secteur jusqu'au 2 Août.
Quand les bombardements cessent, les soldats s' occupent à la réfection et à la construction des tranchées. Ils luttent contre la pire ennemie des fantassins: la boue.
Ils campent leur gourbi à flanc de tranchée.
Parfois, ils creusent un simple trou, fermé par leur capote. Elle est fixée à un rondin par une simple "coriotte" de cuir et bat l' entrée du terrier à chaque coup de vent. Fichue cambuse!.
Pour tromper l' ennui, ils "mamaillent", fabriquent un porte-plume dans une cuillère en aluminium, un banjo dans un casque.
Le 132 ème est donc relevé et quitte la Calonne pour aller au repos à Rambluzin-Benoîte-Vaux. Il reste à cet endroit jusque début Septembre. Au repos, c' est beaucoup dire car les journées sont bien occupées. La pression ne risque pas de retomber!. Instruction, exercices ou marches de mouvement pour gagner les affectations ultérieures, avec 35 Kg. de barda sur le dos:
"La pelle et les gamelles et les bidons dans le dos, la pelle et les gamelles et les bidons".
Le 132 ème gagne ainsi, Rumont, Vavincourt, Rancourt/Ornain, pour être le 4 Septembre à Heitz le Maurupt, le 7 à Lettrée et le 21 à Cernon au Sud de Châlons sur Marne.
Du 22 au 25 Septembre, le 132 ème stationne au Camp de "La Noblette". Entre temps, Joffre engage une vaste offensive en Artois.
L' attaque de Juillet 15, dans le Nord, coûte 85 000 hommes et un million et demi de francs en munitions pour prendre quatre kilomètres de front.
En septembre, il décide cette fois, d' attaquer en Champagne, d' Auberive, près de Reims, à Ville / Tourbe. C' est la raison de la présence du 132 ème dans la Châlonnais-Champenois.
Castelnau mène le bal, assisté de Pétain. L' artillerie prépare le terrain.
Le 24, l' attaque est lancée baïonnette au canon. 
Le 25, le 132 ème prend d' assaut la tranchée des Satyres, sur la ligne de front reliant la Ferme Navarin à la butte de Souain.
Le 29, par un petit matin brumeux et pluvieux, le 402 ème R.I. perce la tranchée des Tantes, à l' Ouest de la Ferme Navarin, mais la deuxième ligne boche n' est pas enlevée et c' est le massacre, car la seconde vague d' assaut est envoyée sur les talons de la première et les fantassins s' agglutinent, sous le feu de l' ennemi.
René reste en première ligne avec son régiment jusqu'au 2 octobre. Ils sont alors relevés et descendent au repos au bois des "Cuisines", le bois Sabot. Les popottes stationnaient généralement sur les arrières immédiates du front, de façon à ne pas faire parcourir trop de chemin à la corvée, qui revenait, chargée à mitraille, de bouteillons de soupe et de pinard.
Le 6, ils remontent en première ligne jusqu'au 13.
Le 132 ème est alors relevé définitivement.
Ils quittent cet enfer pour gagner la maison forestière entre Suippes et Perthes les Hurlus, au bois Sabot.
Le 24 Octobre, le 132 ème fait mouvement pour Saint Quentin sur Coole, au Sud de Châlons.
Du 22 septembre au 14 octobre, 143 000 hommes vont mourir le long de cette ligne de front !!! .
Le massacre aurait pu être plus important si Pétain n' avait pas refusé d' engager les réserves. Castelnau ne lui pardonnera jamais!.
Dans le Châlonnais, l' état-major procédait à une refonte complète des régiments. C' était un moyen pour maintenir le moral des troupes en empêchant le soldat de trop s' habituer à ses camarades d' infortune ou à un secteur trop connu pour ses massacres.
L' éloignement, une façon de s' habituer à la mort.
Le 29 novembre 1915, René est affecté au 154 ème R.I., régiment dit de Lérouville. Il quitte Saint Quentin sur Coole avec un détachement de recrues, traverse Châlons et gagne Mourmelon où il prend son repos au quartier Loano.
Ce régiment est, à l' époque, sous les ordres du Lt Cl Buisson. Il compte trois bataillons et douze compagnies. Le premier, ainsi que les quatre premières compagnies, sont sous les ordres du Cdt Roussel, le second et les quatre suivantes sont sous les ordres du Cdt Eyrand, le dernier est sous les ordres du Cdt De Lauzon.
Le 154 ème est intégré à la 40 ème D.I., 79 ème brigade.
L' instruction des nouvelles recrues permet à René et aux anciens de passer un hiver 1915/1916 tranquille à Mourmelon. Mais dès Février le 154ème est repart au front.
Le 2 Février, il est mis à la disposition du 6ème C.A., qui tient la ligne de front au Nord de Suippes et dont le P. C. se trouve entre Jonchery et Perthes. 
Depuis le carnage de Septembre 1915, l' état-major Français se contente de maintenir le front sur la Dormoise, petite rivière qui prend sa source au pied du mont de Tahure.
Le 154 ème se voit affecté dans le bois de la Goutte, le sous-secteur de la Brosse à Dent. Le bois de la Goutte s' intercale entre la Dormoise, au Nord; le Massif des Chouettes, à l' Ouest; du Trident, à l' Est; des Mamelles, au Sud.
Hormis les bombardements ennemis et les reconnaissances pour tenter de faire des prisonniers afin d' identifier les forces en présence, aucune attaque d' envergure n' est menée en Champagne à cette période.

Le 25 Février, le 154 ème est retiré des premières lignes de Champagne et il fait mouvement vers l' Argonne. A la fin du mois, il bivouaque à Herpon, à mi-chemin entre Suippes et Revigny/Ornain.
Le 7 Mars, il est à Villotte devant Louppy; Le 13, il est mis à la disposition du général De Bazelaire qui organise la défense de la région fortifiée de Verdun (R.F.V.). Le régiment stationne à Sivry la Perche, à l' Ouest immédiat de Verdun.
L' état-major Français, aux vues des velléités des Allemands à forcer le front meusien (combats de Vauquois, des Eparges, de l' Argonne et des Paroches), craignait une attaque d' envergure sur Verdun.
En fait les Allemands avaient concentré, en 1915, l' essentiel de leurs efforts sur l' Argonne où le jeune Rommel s' en était donné à coeur joie. Ils espéraient ainsi faire tomber ou contourner Verdun pour aller prêter main forte aux leurs dans la trouée de Belfort.
En Février 1916 l' état-major Français est persuadé que les Allemands vont tenter une offensive pour perçer le front de Verdun. D' autant plus que les informations fournies par les déserteurs de l' armée Allemande, des Alsaciens et des Polonais engagés de force, abondaient dans ce sens.
Malheureusement, les Français, devant le peu d' efficacité des forts Belges à contrer l' offensive Allemande de l' été 14, avaient désarmé les leurs!. Il était trop tard pour faire machine arrière. C' est donc à l' infanterie que va revenir la lourde tache de contrer l' ennemi.
Tous les efforts étaient donc portés sur la défense de la région fortifiée de Verdun. Celle-ci reproduisait par sa forme, la constellation du Bouvier, dont l' étoile alpha, Arcturus, aurait été Bar le Duc, l' étoile béta, le bois des Caures, l' étoile delta, le bois d' Avocourt, l' étoile gamma, les Eparges, l' étoile sigma, le saillant de Saint-Mihiel. Arcturus est un mot grec qui signifie : gardien d' ours!.
1916 sera l' enfer à Verdun et dans la Somme où Nivelle veut à tout prix progresser. Mais dans la Somme, ce sont surtout les troupes britanniques qui vont dérouiller.
Le 21 février 1916, le Kromprinz lance son offensive sur Verdun. Un déluge de feu s' abat entre Avocourt et le fort de Vaux, en passant par Haraumont et le fort de Souville. 1 225 pièces d' artillerie vomissent une cataracte qui va enterrer vivante les lignes Françaises.
Mais la défense des positions Françaises est héroïque!, à la manière du lieutenant-colonel Driant qui meurt courageusement le 22, d' une balle perdue reçue en plein front alors qu' il franchissait la tranchée, au bois des Caures.

De Castelnau défend la place de Verdun où il est rejoint, le 24, par Langle de Carry, Commandant le groupe armé du centre (G.A.C), depuis Saint-Dizier. Sur place, ce dernier nomme Philippe Pétain, commandant de l' armée de Verdun et de la deuxième armée.
Il installe son Q.G. dans la mairie de Souilly.
Le général Falkenhayn, qui avait remplacé à l' état-major Allemand Von Moltke, pensait qu' une brèche de huit kilomètres entre la côte du Poivre et Vaux, serait suffisante pour enlever la décision dans cette attaque. Malheureusement, il fait la même erreur que De Castelnau en 15, sur la Marne.
L' attaque Allemande s' enlise dans un labour profond de boue, engendré par son artillerie. De plus, l' avance des troupes est ralentie, sous une petite neige froide, par la défense héroïque qu' opposent "les poilus" survivants des bombardements et qui sont terrés dans ce qui reste des premières lignes Françaises, dans la boue, le froid, au contact des morts, des blessés. Ils font face, coupés du commandement.
A l' image de Driant, Raynal oppose une défense héroïque dans le fort de Vaux. Mais Douaumont est tombé et Vaux va suivre.
Le 26, l' attaque Allemande est stoppée. Le front se fige sur place jusqu' en décembre.
Pétain organise la défense. Il accélère le roulement des troupes en premières lignes.
La route nationale qui relie Bar le Duc à Verdun devient le cordon ombilical de la région. Elle draine chaque jour une myriade de camions montants et descendants.
En Mars, les Allemands reportent leurs efforts, à nouveau, sur la rive gauche: Avocourt, le Mort Homme, le bois Bourrus, Cumières, le bois des Corbeaux; Puis sur la rive droite: le fort de Vaux, la côte du Poivre. Le 137 ème R.I. est enterré vivant dans la tranchée des baïonnettes.
Le 13 Mars, le 154 ème est en réserve au fort du Bois Bourrus. Et les nouvelles venant du front sont alarmantes. Les troupes relevées reviennent en tenant des propos aberrants:
- En première ligne, les obus bousillent tout!; Ils ne respectent rien!, t' y retrouves plus rien dans ce terrain tant il est marmitté!.
- Parce que l' artillerie, c' est du jardinage!, ça t' enterre les morts, ça les déterre, comme tu bêcherais ton jardin!. De temps en temps, tu prends une giclée de sang dans la tronche, quand c' est pas de la cervelle ou de la merde!.
- Tout gicle: les têtes, les bras, les jambes, tu peux pas t' imaginer!.
- Alors pour la soupe, tu peux toujours compter dessus!.
- Et pour l' eau, c' est pire, je me suis vu, avec une dizaine de potes, à plat ventre autour d' un trou d' obus, comme des bêtes sauvages, à boire cette eau croupie dégueulasse.
- Tu peux pas bouffer tranquille, y a toujours un obus pour remplir ton bouteillon de terre ou de barbaque pourrie!.
- De toute façon, pour ce qu' on a à bouffer: du bouillon qui pue le suif que tu peux même pas le boire, du bouilli et le soir, du singe avec des patates.
- De quoi te coller une sacrée chiasse!.
- Un bon conseil, écrit à tes vieux qu' y t' envoient des colis: du rechange, des vêtements chauds pour l' hiver, de la bouffe, de la gnôle, un peigne fin pour t' épouiller et un bon couteau à cran d' arrêt, car j' ai vu des types s' étriper avec tout ce qui leur tombait sous la main: des pelles, des pioches, les couteaux, tout y passe!.
- Y a que le pain qui est bon, ça gosse surtout sans eau, mais ça tient au corps mieux que leur "galimatia" que t' arrives même pas à "touiller".
- Sans colis, tu tiendras pas.
René se fâche, il n' a pas envie que l' on réveille trop tôt sa peur:
- Arrêtez vos simagrées, vous nous collez le "bourdon". Et puis on n' est plus des "bleus" depuis "belle lurette", vous nous "bassinez" à la fin avec vos histoires. On a assez les "chocottes" comme ça.
Le 16 Mars, le 154 ème gagne le Mort-Homme par Chattancourt. Et là, c' est réellement l' enfer!.
Le marmittage est "intense". En plus, il "broussine" un petit crachin qui vous glace jusqu' aux os.
Verdun n' est pas une bataille de conquête, mais d' anéantissement. Les visées de l' état-major Allemand sont claires: saigner l' armée Française.
1916 marque un pas franchit vers l' innommable.
Jusqu' à présent, les états-majors des deux cotés privilégiaient l' assaut à la baïonnette. Désormais, l' obus remplace celle-ci. On extermine les premières lignes ennemies à l' artillerie avant de lancer les troupes d' assaut et ce afin de minimiser les pertes.
Les Allemands étaient certains d' infliger, ainsi, des pertes constantes et à la longue irréparables. Et en effet, le journal d' ordre de marche (J.O.M.)du 154 ème mentionne tous les jours des pertes, soit en blessés, soit en tués, soit en disparus.
Mais leur progression reste difficile. Car les premières lignes Françaises sont méconnaissables, tout juste matérialisées par un rideau de barbelés, comparées aux tranchées Allemandes qui sont bétonnées avec chemin de garde!.
Et pourtant, la stratégie d' assaut des Allemands est méthodique.Les vagues d' assaut sont précédées d' éclaireurs au brassard blanc, donc facilement reconnaissables, munis d' un pistolet à fusées (blanches et rouges).
Les troupes d' assaut les talonnent à 50 mètres, articulées en sections. En tête de chaque section, un sous-officier, un fanion à la main, indique le mouvement. S' ils arrivent aux barbelés, le chef de section lance une fusée pour guider le tir de l' artillerie sur ces défenses.
Mais le " poilu" français veille. Il dort dans la boue cet être mythique, dont tout le monde parle avec emphase, surtout les journaux, mais sans vraiment le connaître.
On l' admire, de loin, mais on s' écarte de lui, quand, en permission, il monte dans un train ou entre dans un restaurant. On craint ses manières grossières, le manque de netteté de sa vareuse. On a peur d' avoir les pieds écrasés sous ses godillots ferrés. On le regarde comme une bête curieuse, car la mort lui colle à la peau, ombre sinistre accrochée à son regard blasé. D' ailleurs, on est un peu surpris de le savoir encore vivant quand tant d' autres y sont déjà restés!.
En permission, il affronte, surtout en ville, l' indifférence et l' égoïsme des civils qui ne peuvent comprendre ses histoires.
Alors il se tait et résigné, remonte au front avec le sentiment d' être déjà presque oublié.
Pour se déculpabiliser, les politiques encouragèrent le principe des marraines de guerre, sortes d' amantes par procuration, pour lui redonner du moral!.
Les premières lignes Françaises sont tout de même renforcées de réduits et d' ouvrages armés de mitrailleuses. Quant aux secondes, elles sont à peine ébauchées. Il n' y a aucun repère fiable et pas moyen de prendre un boyau en enfilade. Les lignes sont si enchevêtrées, que les corvées de soupe Françaises arrivent dans les lignes boches!.
Alors les Allemands contournent les poches de résistance, assurés que l' encagement aura raison des derniers îlots.
En Mars nous sommes encore en Hiver dans cette région, la neige tombe en abondance et les hommes sont frigorifiés de part et d' autre.
La résistance Française s' organise en retrait du bois des Corbeaux: du bois des Caurettes au bois de Cumières.

Les pertes sont effroyables. Certains régiments perdent sur place 80 à 90 % de leurs effectifs!.
Du 14 au 24 Mars, les bombardements ennemis, aux obus phosphorescents sont si nombreux, que les poilus travaillent la nuit comme en plein jour!.
Rien que pour la journée du 14, 50 000 obus tombent en six heures!. Une sacrée "châouée"!.
Le 16 donc, les Français qui ont échoué la veille en raison de l' intensité du tir de barrage Allemand, reprennent la contre offensive avec un régiment entier, celui de René, avec pour mission d' enlever la cote 295.
C' est un nouvel échec.
- "Y a pas mèche"!.
Il est clair désormais que le Mort-Homme ne sera jamais durablement Français ou Allemand.
De Bazelaire change alors de général sur ce front, craignant l' émoussage de la combativité des troupes. Il confie la rive gauche à Berthelot, car il faut à tout prix rester maître du Mort-Homme.
Mais à partir du 20, l' offensive Allemande s' incline vers l' Ouest et touche Avocourt -Malancourt, où c' est la Bérézina. C' est la seule zone du front où les tranchées sont confortables et leurs dessins facilitent les schémas offensifs Allemands. La 29ème D.I. du général Guyot de Salin est contrainte de se rendre dans sa quasi totalité car elle se retrouve encerclée par l' ennemi.
2500 prisonniers.
Le 154 ème est relevé. Il regagne le fort du Bois Bourrus pour un repos bien mérité.
Il remonte en ligne, le 24 et y reste jusqu'au 8 Avril.
En guise d' accueil, il est bombardé par l' artillerie Française et les chefs de bataillons sont obligés de réclamer l' allongement des tirs.
Les batteries de 75 étaient massées sur les reliefs Sud, du Bois Bourru à la forêt de Hesse en passant par les hauteurs de Montzéville.

Les artilleurs tiraient souvent en aveugles, arrosant autant les premières lignes boches que les françaises, sur un front dont la ligne était impossible à situer, même par les chefs de bataillons.
Les régiments ne restent jamais très longtemps en premières lignes, dans un secteur chaud. Quatre jours généralement, sept tout au plus.
Les combats sont si furieux, qu' il faut accélérer le remplacement des unités décimées.
C' est aussi un moyen de maintenir le moral des troupes en faisant monter en premières lignes des troupes qui ne connaissent pas le secteur.
La bataille se poursuit nuits et jours jusqu'au 4 Avril. Les troupes relevées s' enfuient à l' arrivée de la relève sans même donner d' indications sur la position de l' ennemi. Ils sont comme fous et hurlent: "Sauvez vous, ils arrivent".
Il faut dire que de voir arriver les "stosstruppen", armées de lance-flammes derrière les tirs d' artillerie, ne doit rien avoir de réjouissant.
Et malgré le mot d' ordre "Poussez droit devant vous jusqu'au contact de l' ennemi (dont on ignore la position exact)", les premières lignes Françaises sont obligées de reculer jusqu' à hauteur du "Chapeau Chinois", au Sud du Mort-Homme et de la tranchée des Zouaves que tiennent les Corses du 173 ème R.I.
Chattancourt est dégagé mais le Mort-Homme passe aux mains des Allemands.
Un Bataillon entier du 154 ème disparaît dans la tourmente, massacré au bois des Caurettes, bois qui lui donnera son nom: régiment des Caurettes. Quand le Cdt De Lauzon se rend, l' officier Allemand qui obtient sa rédition, lui situe les 44 batteries qui ont eu raison de la résistance de ses troupes. Les fantassins du 154 ème R.I. se sont battus avec tant d' opiniâtreté que les Allemands leurs ont donnés le surnom de "sauvages"!.
Le 8 Avril, les restes du 154 ème quittent momentanément le secteur. Les 1er et 3 ème bataillons sont envoyés en repos à Brillon, le 2 ème à Saudrupt.
Mais sept jours plus tard, c' est le retour dans la fournaise du Mort-Homme. Le Lt Cl Buisson est remplacé par le Cdt Roussel.
Le 16, le 1 er bataillon relève le 251 ème R.I. dans le secteur du bois des Caurettes. Le 3 ème est à sa gauche, le 2 ème est en réserve à Jouy en Argonne.
Le 20, le 154 ème prend l' Ouest de la tranchée "Guiborat" à la grenade. Il gagne durement 200 m de progression et est relevé immédiatement par le 254 ème.
Les secteurs, sous-secteurs et tranchées prenaient pendant ce conflit le nom d' un général dont le régiment s' était illustré à cet endroit ou le nom de la région d' origine du dit régiment.
Ainsi une tranchée s' appelait "Guiborat", ou "Garçon"( du nom du colonel commandant la 50 ème brigade) ou "Corse" en l' honneur du 173 ème R.I..
Le 23, l' état-major de brigade confie au 154 ème la lourde tache de rétablir la jonction entre les tranchées
"Guiborat" , "Garçon" et "Corse", au Sud du bois des Caurettes.


Le 29, c' est enfin la vrai relève: le 154 ème quitte la rive gauche de la Meuse. Il n' en reste plus "grand ièque".
Après un repos à Blercourt, il redescend à Varney, Fains et Rembercourt (7 et 8 Mai). Fin Mai, il est à Brillon.
La rive droite donne des inquiétudes à l' état-major Français.
En Mai, Pétain, jugé trop mou, est remplacé par Nivelle qui prend le commandement de la R.F.V..
Le 23 Mai, après deux jours de bombardements aux obus asphyxiants, les Allemands lancent une nouvelle attaque sur un front de six kilomètres entre Thiaumont et Fleury. La 3 ème compagnie du 7 ème R.I., résiste dans les casemates du fort de Souville et stoppe l' avancée ennemie, relayée en cela par le 27 ème B.C.P. Et le 127 ème R.I. venant de Tavannes. A l' arrivée du renfort, il ne reste plus qu' une quinzaine de défenseurs sur les soixante présents initialement.
A cette époque, le front Est rassemble les deux-tiers des effectifs Français!.
Mi Juin le 154 ème fait mouvement vers la rive droite. Il est d' abord à Fouchères aux bois, au Sud de Ligny en barrois, puis à Boviolles et Ville-Issey, près de Commercy.
Le 19, il est à Boncourt, puis gagne Marbotte et l' étang de Ronval, pour tenir les premières lignes au Sud du bois d' Ailly et du Saillant de Saint-Mihiel. Il défend la tranchée de la Lisière.
Ce secteur était redevenu calme depuis la prise par les Allemands du fort du Camp des Romains de Saint-Mihiel. Car les Allemands, par la prise de Saint-Mihiel, contrôlaient la voie ferrée de Commercy à Verdun et ça leur suffisait amplement.
Le Sud de la rive droite est beaucoup moins dangereux que le Nord.
Le 24 Juin, le 154 ème est relevé. Il regagne Ville-Issey puis Commercy, Sorcy St Martin, Troussey (4 Août), Ancerville (7 Août).
A la mi-Août, il est à Azerailles (54), puis à Fontenoy la joute. Fin Août, il est à Rosières aux Salines (54) où il reste en instruction jusqu'au 9 Septembre.
Il fait alors mouvement par trains vers l'Oise.
Le 12 Septembre, il est à Crèvecoeur la grande, au Nord de Beauvais.
Ses éléments vont servir à reconstituer le 166 ème R.I. du Lt Cl Morand.
Pendant ce temps les contre-offensives sont enfin fructueuses sur le front de Verdun.
Le 18 Août, Thiaumont et Fleury sont repris. Mais des nouvelles tragiques arrivent également avec les bonnes: le tunnel de Tavannes est le théâtre d' un terrible accident, le 4 Septembre. Une violente explosion ravage le dispositif qui abrite l' état major de brigade, les secours et des munitions. 800 hommes, au moins disparaissent dans la catastrophe, parmi lesquels, des brancardiers, des territoriaux, des fantassins de divers régiments, le général Aimé.
Le 16 Septembre, René est incorporé au 166 ème R.I., le régiment de Verdun, dans lequel est incorporée une grande majorité de Meusiens. Ce régiment s' était illustré, fin 1915, dans la défense du front face à Fresne en Woëvre, dans le secteur de Marchéville .
C' est dans ce secteur que disparurent, le capitaine Heym, vaillant défenseur, avec sa 15 ème compagnie, du fort de Troyon, en Septembre 14, ainsi que Louis Pergaud, l' auteur de "la guerre des boutons".
Louis Pergaud disparaît le 7 Avril 1915 à 2h30, en attaquant la côte 233 au Sud-Ouest de Marchéville.
Il note sur son carnet de route leurs positions: Marchéville / Watronville / Chatillon / Belrupt / Ronvaux / Haudiomont / Bonzée / Manheulles / Pintheville / Fresnes.
—1100 gugusses de zigouillés ou portés disparus, tu te rends compte ?.
Pendant une semaine, les nouvelles recrues du 166 ème subissent les exercices de "remise en train", selon les propres termes du J.O.M du régiment!.
Puis le régiment est mis à disposition du 30 ème C.A., 132 ème D.I., qui doit relever la 62 ème D.I. dans le secteur Roye-Damery, au Sud de Péronne (60). Le 166 ème constitue avec le 366 ème R.I., la 264 ème brigade.
Ce secteur est épargné par le plan d' offensive de Joffre, qui vise à enfoncer les lignes Allemandes, plus au Nord, entre Albert et Chaulnes, vers Bapaume/ St Quentin/ Péronne. Le 24, le 166 ème quitte la région de Montdidier ( Broyes-Sérévillers ) pour se rendre à Davenescourt-Saulchoy près d'Erches.
Le 26, il relève à 21 heures le 308 ème, dans le secteur du Labyrinthe à droite du 366 ème qui occupe le secteur Du Quesnoy. Le 27, il prend possession des tranchées d' Austerlitz et de Verdun, délimitées au Nord par le boyau Marty et l' ouvrage Pierre 1er, au Sud par l' ouvrage Marne, à l' extrémité du boyau Labyrinthe.
Il reste dans cette région jusqu' en Février 1917. Pendant ce délai, le J.O.M. du régiment mentionne essentiellement une activité de l' artillerie adverse.
Début Décembre les Français gazent les Allemands qui répondent par un tir de barrage à la mitrailleuse (heure H = 3 h).
L' état-major charge encore le 166 ème d' un coup de main pendant la nuit de Noël pour faire des prisonniers (secteur 313). Les Allemands ripostent, comme à l' accoutumée, par un violent bombardement qui se prolonge de la nuit de la St Sylvestre à l' Épiphanie. Décidément aucun des deux états-majors n'a pitié de ses soldats!.
L' année 1916 s' achève.
La ligne du front de Verdun a été rétablie à peu près selon le tracé de Février. Nivelle a engagé pour cela dans la contre-offensive, les troupes coloniales de Mangin, véritable fer de lance de l' infanterie Française. Les résultats ont été spectaculaires. Le 24 octobre, le fort de Douaumont était repris. Le 2 novembre, c' était le tour du fort de Vaux.
Le 15 Décembre, une nouvelle attaque était lancée qui permettait de reprendre la ligne Louvemont / Bezonvaux / Vaux.
La défense de Verdun, en 1916, aura coûté de 800 000 à un million de vies humaines!, moitié de chaque côté... .
Le fondement de cette guerre est la défense du sol national. Face à elle, l' offensive sera inéluctablement vouée à l' échec!. C' est pour cette raison que les Allemands ne progresseront jamais sur le front de Verdun et que les alliés ne feront pas reculer les Allemands sur la Somme.
Début Février 1917, le 166 ème est relevé de la Somme. L' heure est à la reconquête du terrain perdu sur le front de Verdun et l' état-major pense réinjecter du sang neuf sur ce front.
Le 166 ème gagne sa zone de repos, La Chapelle en Serval près de Survilliers dans le Val d' Oise, d' où il partira en train pour rejoindre la région de St Dizier (St Eulien, le 16 Février).
Il y stationne jusqu'au 23 Février. Il est alors mis à disposition, ainsi que le reste de la 132 ème D.I., du groupement B.C. de la R.F.V..
Il fait mouvement vers Chancenay puis Brillon en Barrois, Combles en Barrois, Fains les Sources, Behonne, Vavincourt, Seigneulles, Rosnes, Erize la brûlée ( le 25), Chaumont sur Aire, Issoncourt et Neuville en Verdunois (le 26).
Le 27 Février, il défile à Souilly, ses hommes "briqués" comme des sous neufs, devant les généraux: Guillaumat, commandant la 2 ème armée et Herr, commandant le groupement B.C..
Le 28, il arrive à Souhesmes la grande, aux camps des Pommiers et du Gendarme. L' activité du front est telle que l' état-major de brigade ne peut pas l'y engager avant mi Mars!. Alors les journées se passent entre les exercices de tirs à la grenade et les maniements d' armes.
Le 12 Mars, la 132 ème D.I. relève la 32 ème D.I. dans le bois de Malancourt. Ce secteur est divisé en cinq quartiers, d' Ouest en Est: Malleray, Rieux, Gauthier, La coupure d'Esnes, R3.

René se trouve dans ce bois, dans la section du sergent Lucien Humbert, surnommé "sergent Bébert", un linéen de 26 ans. Là, ils tiennent le quartier Gauthier, le long du ruisseau de Forges.
Le 18 Mars 1917, les Allemands tentent à nouveau une percée dans ce secteur que l' on appelait également depuis 1916: le réduit d' Avocourt.

L' activité de l' artillerie Allemande est considérable de 8 à 10 heures, prélude d' une offensive sur les quartiers Malleray, Gauthier, Esnes. A 16 heures les Allemands attaquent, au lance-flammes et à la grenade , le Saillant Gauthier.
L' attaque surprend les premières lignes qui se font submerger et exte rminer. Un vrai carnage, malgré la défense héroïque des Français. Le sergent "Bébert" est tué sur le coup, ainsi que la quasi totalité de ses hommes. René, un des rares survivants, est désespéré.
— Ça n' en finira donc jamais... .
A 17 heures 30, l' ordre de contre-attaquer tombe.
Etat final des pertes: 356 hommes dont:
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les capitaines Drouin et Romain,
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les lieutenants Leroy, Deschamps, Leroux, Maucourt, Martot et Laffargues
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Les états-majors sont omnibulés par les avances adverses, qu' il faut coûte que coûte repousser quelque soit le prix à payer!.
Et puis c' est si facile avec le sang des autres... .
Le 19 Mars, le 166 ème doit malgré tout contre-attaquer pour reprendre les positions perdues la veille. La préparation par l' artillerie dure 30 minutes, de 5 h 45 à 6 h 15, l' heure H = 15 h 50.
A 18 heures, les Allemands bloquent la contre-attaque par un tir de barrage à la mitrailleuse.
Etat des pertes: 21 morts.
Le 22, c' est enfin la relève mais elle est de courte durée puisque six jours plus-tard, le bataillon de René doit attaquer de nuit, la lisière Sud du bois d' Avocourt.
Etat des pertes: 18 morts.
Le 29, le général Huguenot prend le commandement de la brigade, avec pour mission de reprendre les positions perdues. L' axe d' attaque: les tranchées d'Aix et Reboul.
Etat des pertes: 23 morts.
Le premier Avril et ce n' est pas un poisson, le Colonel Wayne remplace Morand qui est évacué.
Le 6, l' attaque du Saillant Gauthier échoue sur un tir de barrage et fait quatre morts, le 166 ème se replie sur ses positions de départ: le quartier Huguenot (tranchées Poirier, Champigneulles, Raoul, Duval et Cannebière), entre le 122 ème qui occupe le quartier Malleray et le 330 ème qui occupe le quartier Brocart.
Le 11, c' est enfin la vrai relève. Le 166 ème quitte le front pour prendre ses quartiers de repos à Triaucourt et à Evres.
Alors on se penche un peu sur l' actualité, enfin, celle du commandement!!:
- Joffre a été nommé, le 27 Décembre, maréchal de France.
- En Février 1917, les bolcheviks renversent le pouvoir en Russie et quittent la guerre. Ce qui permet aux Allemands de repositionner leurs forces.
- Les État-Unis déclarent la guerre à l' Allemagne, en Avril 1917. En effet, depuis 1915, les Allemands se livraient à une guerre sous-marine à outrance pour lever le blocus maritime des Anglais.
C' est ainsi qu' ils sont amenés à couler des navires de voyageurs (Lusitania, par exemple, le 7 Mai), et surtout des navires marchands américains, choses que ne peuvent pas tolérer les financiers de l' oncle Sam.
Ils décident définitivement les Américains à entrer dans la guerre après avoir incité les Mexicains à déclarer la guerre aux État-Unis.
Et en Avril 1917, Nivelle recommence l' erreur de Castelnau, de septembre 1915, en Champagne.
Il veut lancer une offensive sur l' Aisne, au chemin des Dames, dans le triangle: Soisson, Reims, Laon. Il n' a de cesse de vouloir prendre le plateau de Craonne.
Alors le 17 Avril, le 166 ème fait mouvement vers la Champagne et plus précisément vers St Etienne du Temple, où il est mis à disposition du G.A.C..
Le 20, il est conduit à Dommartin sur Yèvres-Sommerécourt.
Fin Avril, la division passe officiellement sous les ordres du 12 ème C.A..
Le 2 Mai, le 166 ème fait mouvement vers Dampierre, Tourbe et Somme. Apparemment, il va intervenir dans le bois de Suippes, ce qui est presque une chance, vu les nouvelles qui arrivent du Chemin des Dames où il se produit un véritable massacre.
Les blessés racontent qu' ils montaient à l' assaut sur une "pelouse" bleue, tant il y avait de mort Français!. D' où l' expression "Botter le cul aux copains".
Le ras le bol est général. Des unités entières se révoltent et refusent de monter à l' assaut des lignes ennemies.
- Quel "taûgnât" ce Nivelle, il n' a qu' a venir s' y frotter lui, aux boches!.
La nourriture est dégueulasse, les cantonnements de repos sont mal agencés et dépourvus de tout confort. Les permissions sont sans arrêt suspendues. Les transports sont interminables et raccourcissent les rares permissions comme une peau de chagrin.
On était loin du charisme de J. Péricard, du 95 ème R.I., qui au bois Brûlé, en Avril 15, exhortait les morts à se relever pour défendre la tranchée.
Sur deux millions de soldats, il y aura 40 000 mutins, 3 247 jugés, 544 condamnés, 49 exécutés. De sources militaires!!! .
En Meuse, les mutineries intéressèrent peu de régiments. Les incidents les plus graves, se produirent pendant la première quinzaine de Juillet et les vingt premiers jours d' Août, surtout sur le flanc ouest de la région fortifiée de Verdun, le long d' un arc Bar le Duc / Chardogne / Foucaucourt / Lavoye / Béthelainville / Avocourt-Louvemont.
Les régiments concernés, sont ceux qui prenaient régulièrement d' assaut, la côte 304, le Mort Homme, la côte de l' Oie sur la rive gauche de la Meuse, région où les combats étaient les plus meurtriers et les plus indécis.

Nivelle est relevé en Mai par Pétain qui va redresser la barre en restaurant la confiance entre la troupe et les supérieurs.
Il s' attache à satisfaire les revendications des poilus: plus de permissions avec des transports rapides, amélioration de l' ordinaire, respect du repos des troupes qui redescendent du front.
En attendant, le 4 Mai, le 166 ème relève le 330 ème dans un quartier bien connu de René, celui de Dormoise, au bois de la Goutte. Et c' est une succession d' attaques et de contre-attaques (le 8 et le 20, pour les Allemands, le 13 et le 17 pour les Français).
C' est en Mai que René reçoit sa première condamnation.
Il est condamné par le conseil de guerre de la 132 ème D.I. à un mois de prison avec sursis pour complicité de vol et recel. Le conseil lui accorde des circonstances atténuantes.
Qu'en penser... .
Cherche t' il à se faire condamner pour fuir les combats ?;
Car il en a vu des vertes et des pas mûres, en deux ans!. Les copains bousillés, les cris, les larmes, les corps charcutés à la moulinette.
Il en a plus qu' assez des gueules cassées, des estropiés, des gazés, des mecs qu' on se coltine et qui arrivent clamsés au tri.
Où est la dignité humaine dans tout cela ?.
Et puis les rats!; qu' il faut chasser d' un bâton, les poux.
René a armé l' extrémité du sien d' un embout pointu en ferraille avec lequel il peut même les embrocher!.
Cela fait deux ans de boue, de charpies et de vie animale.
La bataille de Verdun a été un vrai carnage!. La Champagne pareille; La Somme, pire... . Ces coups de boutoirs dans les lignes boches sont effroyablement meurtriers. Les mitrailleuses couchent les hommes, comme une faux, les blés. Les obus sculptent les corps et leurs donnent des positions étranges: les genoux pliés en l' air, un bras appuyé au talus de la tranchée.
Extirper les survivants.
Ne chargez que les conscients... .
Et ça dure. Deux ans de nausées à éviter les fusants, les traçants, les percutants.
Couvre t' il quelqu'un ?;
Est-ce une punition pour l' exemple ?; La sanction est soit trop lourde, soit pas assez!
Fin Mai, la division est relevée. Elle stationne aux "Petites Loges" et à "Sept Saulx", au Nord de Châlons.
Et ce pourrait être ceux de l' Apocalypse, car René va bientôt jouer le rôle de l' agneau!, ou du dindon de la farce, comme on veut. Mais patientons un peu.
La future affectation du 166 ème R.I. est connue. Il s' agit des Monts de Champagne, entre le Mont Blond et le Mont Cornillet, dans un quadrilatère délimité au Nord par le Constancelager, au Sud par Prosnes, à l' Ouest par le Mont Blond, à l' Est par le Mont Haut.

Début Juin, les bombardements Allemands se font de plus en plus intense comme pour figer les Français sur place. Malgré tout, les vagues d' assaut sont déjà prévues.
Et puis c' est la blessure et l' évacuation.
Il la tient sa sortie!.
L' attaque est prévue pour le 18 Juin, à 4 heures du matin. Le 3 ème bataillon doit prendre d' assaut l' aile gauche du quartier Est. Son objectif est de s' emparer des tranchées Fleursburg ( des points R à N) et Blonde (entre les points O et P).
Il faut rétablir la première ligne française entre les points F et T ( tunnel).
Ce 17 Juin, la 10 ème compagnie du 3 ème bataillon, est occupée à entretenir les boyaux, à relever les éboulements, à transporter matériels et munitions pour l' attaque du lendemain. Mais la position est difficile à tenir sous le feu des nids de mitrailleuses boches situées sur le flanc Ouest du Mont Blond et Est du Mont Cornillet.
René se fait faucher par une rafale de mitrailleuse, les deux jambes en morceaux. Et c' est presque une chance car l' état-major n' aura de cesse de relancer l' assaut sur ces points les jours suivants avec des pertes considérables:
Le moral est tellement bas, que le régiment est retiré du front le 25 et que 50% de l' effectif restant est envoyé en permission.
René est d' abord conduit au poste de secours, puis à l' ambulance divisionnaire de la Ferme de Constantine.
L' évacuation se fait dans la pisse, la merde, l' odeur de gangrène. Sans même boire, sauf dans les gares où les infirmières et les bonnes âmes s' affairent à apaiser un peu l' Immonde. Une clope, un canon, parfois une gnôle!.
René est évacué sur Limoges. Les hôpitaux sont tous choisis loin à l' arrière.
En Décembre, René passe devant le conseil de réforme, et là c' est la catastrophe: le médecin major juge ses blessures "parfaitement cicatrisées, un vrai petit miracle".
— Vous retournerez au front bientôt Fournier!, vous êtes guéris.
René n' en croit pas ses oreilles!. Ses deux jambes sont en charpies. C' est vrai qu' il arrive à peu près à se tenir debout, mais de la à retourner au front!.
Il s' évade.
Il est repris et fait de la tôle, en attendant d' être jugé.
Pendant ce temps, ses copains se font dessouder dans le secteur d' Auberive.
Ses compagnons de cellule ne lui laissent pas beaucoup d' espoir.
- S' évader, en temps de guerre, c' est le peloton assuré, mon gars!.
Son affaire est jugée le 27 Février 1918, par le conseil de guerre provisoire du gouvernement militaire de Paris.
Sa peine est entérinée par le conseil de guerre de la 12 ème région militaire de Limoges, le 7 Mai 1918.
Il fait beau, en ce mois de Mai 1918.
Le général commandant la 12 ème Région militaire à Limoges lui laisse peu de choix:
- Vous choisissez, Fournier: dix ans de travaux forcés, la dégradation militaire et l' interdiction de séjour métropolitain ou les Bat' d' Af. ?.
- Mon général, sauf votre respect, je sais pas ce que c' est moi les Bat' d' Af. ... .
- Deuxième classe Fournier, apprenez que "Bat' d' Af.", désigne les bataillons d' infanterie légère d' Afrique, stationné à Medenine. Si cela est votre choix, vous serez versé au 5ème.
- Excusez mon ignorance, mon général, mais c' est où Medenine ?.
- Medenine est en Tunisie.
- ....
- Bon bah , je veux bien y aller, mon général.
- Sergent Greffier, prenez notes et rédigez l' ordre de mission et d' affectation. Le deuxième classe Fournier rejoindra le D.J.M. à Marseille pour embarquement. Départ fixé au 2 Septembre.
René n' avait pas le choix; Mais renseignements pris auprès des copains, il comprit vite fait que les Bat' d' Af. étaient loin d' être une partie de plaisir.
- Les Bat' d' A f., c' est des bataillons disciplinaires, commandés par des peaux de vaches qui te font crapahuter avec tout ton barda sous le grand soleil pour te faire chier des ronds de chapeaux!, lui avait confié un condamné comme lui.
C' était une autre paire de manche. René comprenait mieux le marché. Il pensait y avoir gagné...
Il en était beaucoup moins sûr maintenant.
Il arriva au D.J.M. à Marseille, le 5 Septembre. Il faisait dans cette ville, à cette saison, une chaleur à crever et ça n' augurait rien de bon pour la suite des événements.
L' enfer recommence!. Un avant goût de l' Afrique!.
Le bataillon disciplinaire se formait avant tout à Marseille!.
Au bout de six semaines, René n' en peut plus. Il s' évade le 21 Octobre, mais il est reprit par le service de semaine du D.J.M., douze jours plus tard.
Il parvient à nouveau à s' évader le jour de l' armistice à la faveur de l' euphorie qui règne, ce jour-là.
Cette fois, c' est la police de Marseille qui l' arrête, le 16 Novembre.
Il passe l' hiver 18 en prison.
Le 3 Mars 1919, il prend le bateau pour Medenine, Tunisie. Il est incorporé, dans un premier temps au 4 ème d' infanterie légère. Il n' est versé au 5 ème, que le 26 Mars.
La vie au 5 ème bataillon d' infanterie légère d' Afrique ne peut être racontée que par les intéressés.
On peut juste supposer qu' on y casse les caractères les plus récalcitrants!. Que les contentieux se règlent, en douce, la nuit, à la faveur de l' obscurité, à l' arme blanche, sans bruits. On n' y vit pas, on y survit; Chaque jour, plus difficile que le précèdent, mais peut-être moins que le suivant.
Marches forcées. Une soif indescriptible.
Des parcours de l' extrême.
René va laisser ses chevilles dans un éboulement. A l' équerre toutes les deux!. Doubles fractures des deux jambes.
L' épreuve est finie.
Il passe sa guérison à l' hôpital militaire de Medenine.
Début Septembre 1919, il est rapatrié. Le 15 du même mois, il est démobilisé au 94 ème R.I. de Bar le Duc. Le 16, il est rendu à la vie civile, sec comme "gôyotte", pauvre comme Job.
Déserteur, c' est une mauvaise carte de visite, surtout à cette époque!. Les portes se ferment, même celles des siens.
Il était passé voir ses parents en rentrant d' Afrique, mais il n' avait pu retenir sa colère aux réprimandes de ceux-ci et il était parti en claquant la porte.
Déserteur, pas de pension, pas de travail, pas de ressources. Il en passe des choses dans sa tête, des désirs de vengeance. Crier à la face de ces gens qui le jugent qu' il est blessé physiquement et pire encore moralement. Qu' on peut pas sortir vivant de l' enfer de Verdun et encore moins des Bat' d' Af..
A nouveau, survivre... .
Ad-infero: huit ans de malheurs
La première guerre mondiale ébranle fortement l' économie mondiale. Elle engendre l' inflation et déplace le système monétaire vers l' ouest, au profit des créanciers du conflit: les Américains. Le dollar devient la monnaie refuge et de référence.
Un retour de la croissance s' amorce avec les débuts d' une consommation de masse, mais certains secteurs comme l' agriculture, les chemins de fers, la construction navale, en sont exempts.
L' exploitation des ouvriers et les progrès trop lents de l' économie les poussent à remettre en cause les biens fondés du libéralisme. Ainsi se développent les partis politiques extrémistes.
Les villes s' agrandissent au détriment de la campagne, pour absorber le flot croissant des ouvriers, attirés par l' industrie.
Parallèlement, les mentalités s' uniformisent, favorisées en cela par le développement des moyens de communication. Les loisirs sont recherchés. Les femmes s' émancipent.
14/18, c' est dix millions de morts, 1,4 million pour la France; Trois fois plus de blessés; Huit millions d' infirmes, mutilés, aveugles, névrosés, incapables de reprendre une vie normale et un déficit des naissances.
40 % des mobilisés ont été blessés, 30 à 60 % resteront invalides. Quelles reconnaissances pour ces pauvres diables ?.
Le pays est endeuillé. Ses flancs Nord et Est sont éventrés, charcutés, torturés. Des villages entiers sont morts pour la France: Fleury, Vauquois, Ornes, Cumières, et tant d' autres!. Rayés à jamais de la carte, des effectifs, comme tous ces disparus... .
La France a laissé dans cette guerre: sa ruralité et sa féodalité. La noblesse avait survécu à la révolution, ce conflit en a eu raison.
Comment se remettre au travail quand toutes les nuits sont hantées par les fantômes du passé ?.
Les chroniqueurs parleront du malaise des années 20.
C' est lui qui amènera la crise de 29.
Les populations civiles, affaiblies par quatre ans de guerre, offriront peu de résistances à l' épidémie de grippe espagnole, en Février 19. Elle sera très meurtrière. Cette décennie va être marquée par des grèves quasi permanentes.
Elles touchent les chemins de fers en Février, Mars, Mai 20. Il faudra attendre Septembre 1924 pour que les cheminots grévistes soient réintégrés!. En Mars 20, ce sont les mineurs du Nord qui embrayent sur le mouvement. Le 26 Août 1922, ce sont les dockers du Havre qui reprennent le flambeau, suivi en Janvier 1925 par ceux de Douarnenez.
Le 26 Juin 1925, ce sont les postiers de Paris. En Septembre, les banques. De fin Juillet à mi-Septembre 1930, les textiles du Nord débrayent. Ils recommencent le 18 Mai 1931, pour ne reprendre le travail que fin Juillet!. Enfin, le malaise touche l' agriculture en 1933 et en particulier les vignobles du Sud-Ouest, qui ne se remettent pas du phylloxéra.
Ni l' Europe, ni le reste du monde ne se remettront jamais vraiment de ce cataclysme.
René s' engouffre dans cette spirale infernale.
En Octobre 19, il est convaincu de vol avec outrages. Il est jugé le 19 Novembre et fait appel du jugement arguant du droit à se nourrir pour survivre.
— Doit-on mendier après avoir fait 14 et servi la patrie pendant près de cinq ans ?.
En Septembre 20 il récidive et prend six mois de prison.
En Septembre 21, il prend un mois et un jour.
La mort de sa mère, le 8 Avril 1922, qu' il apprend par des voies détournées, l' anéantit. Il tombe dans la boisson et la violence.
En Juin 22, il fait six jours pour ivresse et tapage. Il récidive en Juillet et Novembre.
A peine sorti, le 14 Novembre, il prend six mois pour vol.
C' est à la prison Charles III de Nancy où il tire sa peine qu' il rencontre Marie, en Janvier 1923. Et le soleil entre à nouveau dans ses ténèbres.
Marie est fluette.
Légèrement plus petite que René, elle a les yeux marrons et les cheveux châtains, qu' elle porte de manière à cacher son front qui est plutôt large. Elle parait fragile, mais n' est pas frileuse, ce qui surprend beaucoup René, qui est malgré l' âge, souvent patraque.
Marie a près de dix ans de moins que lui et s' apprête à prendre le voile, au couvent Saint Anne. Les soeurs du couvent faisaient acte de charité auprès des détenus, en entretenant le linge ou en soignant les malades.
Marie avait été émue par l' histoire de René, et lui l' avait été par celle de Marie.
Marie était orpheline. Son père, mineur, avait été emporté par un coup de grisou, alors qu' elle avait tout juste seize ans. Elle avait aidé sa mère comme elle pouvait en faisant des ménages.
De lui, Marie apprit peu de choses. Elle savait par les soeurs qu' il avait fait la guerre et qu' il s' en était sorti sans les honneurs. Elle laissait venir le flot, par vague comme une nausée impossible à endiguer. La mort, la vermine partout, tout le temps. Les poux, les rats, ces hôtes des tranchées avec lesquels il fallait compter. La grande boucherie, parsemée des pires vilenies. Les exécutions sommaires..., pour l' exemple!. Comme si c' était bien nécessaire et qu' il n' y avait pas d' autres moyens d' en finir.
Et puis la hiérarchie immanente, toute puissante, bouffie d' orgueil, toujours prête à sacrifier du pékin pour l' honneur, pour la beauté du geste, la gloire, à la grâce d' un Dieu qui ne sait plus où donner de la tête tant il est demandé par les uns et les autres.
L' Afrique, la fournaise, immonde cerise sur ce mauvais gâteau.
En Janvier 1923, l' appel du jugement de Novembre 19 est rejeté par la cour de Nancy. La peine est fixée à un an de prison.
Cette peine ne prend effet qu' après sa sortie de prison, en Mai 23. En Octobre, exactement.
Pendant ce temps, René renoue avec le bonheur.
Au bras de Marie, il apparaît fier comme Artaban!.
Si ce n' était cette damnée condamnation, il serait prêt à
faire peau neuve. Leur idylle se conclue par une grossesse, dont le terme est annoncé pour le début d' été 24.
Il est affecté à la prison d' Amiens.
Il en sortira en Mai 1924, le jour où la chambre vote la loi sur les retraites des civiles et des militaires.
Marie le suit dans le Nord, et accouche de leur premier enfant à l' Assistance Publique de Douai, le 19 Juin 1924. C' est un beau garçon, qu' ils décident de prénommer René François.
Jusqu' à sa sortie, Marie accepte une place de femme de ménages, chez le Directeur des affaires sociales, qui profite d' elle et l' engrosse.
Quand René l' apprend, il devient comme fou, voyant à nouveau se profiler le spectre des puissants qui se permettent tout. Mais que peut un détenu contre un bourgeois avec pignon sur rue?. Il rumine de noires vengeances qu' il sait ne jamais pouvoir mettre à exécution sans risquer l' avenir de Marie et de son fils.
A sa sortie, il essaye de trouver du travail sur place, mais partout ce n' est que chômage et faim. Ils reviennent en Lorraine.
En Mars 1925, il insulte un agent. Il est jugé le 24, fait appel et est finalement condamné par le tribunal correctionnel de Saint-Mihiel à un mois de prison. Il sort le 26 Septembre 1925.
Marie, désemparée, avait accouché chez les soeurs Saint-Anne, à Nancy, d' une belle petite fille qu ' elle avait prénommé Simone.
Les soeurs qui s' occupaient d' un orphelinat avaient recueilli les enfants de Marie et lui avaient proposé de rester parmi elles.
Cette grossesse non désirée aigrit René. Il boit de plus en plus souvent et devient même violent envers les siens.
Le 11 Décembre, il est condamné par le tribunal d' Epinal à quatre mois de prison pour complicité de vol.
Le 5 Novembre 1926, il est condamné à trois mois de prison par le tribunal de Nancy pour un vol commis le 11 Octobre.
Il sort de prison début Février. Les soeurs finissent par le raisonner. Il retrouve Marie et ils se marient, le 5 Mars 1927. René en profite pour reconnaître les enfants de Marie: René et Simone.
René trouve, grâce aux soeurs, un boulot d' éboueur à la ville de Nancy. La vie reprend ses droits Quand on lui demandait de quoi il vivait, il répondait:
- Le matin, poubelleux, l' après-midi, terrassier, pas de quoi casser quatre pattes à un canard!.
Il se fait en effet embaucher à la tâche sur les chantiers de reconstruction.
Dans un premier temps, ils demeurent chez la mère de Marie, au 44 de la rue Clodion. Mais en Novembre 30, pour la naissance de Roger, ils doivent se chercher un logis plus grand. Ils trouvent à se loger dans un abri provisoire, avenue du Sud à Vandoeuvre.
Depuis la loi du 7 Juillet 1928, les villes avaient l' obligation de créer des habitations à bon marché, les fameuses "H.B.M.". Au départ, il ne s' agissait que de vulgaires baraques en bois, espèces de "calougeottes" ouvertes aux quatre vents!.
En Juillet 1931, le 7 très exactement, René voit enfin la reconnaissance de ses blessures de guerre. Le décret du 28 Juin 1927 avait fixé les conditions de la création de l' organisation nationale des combattants.
Dans tout le pays s' étaient crées des bureaux de secours aux combattants de 14 / 18. Le bureau de Nancy avait eu connaissance du parcours de René et s' était chargé de le faire réhabiliter par les autorités.
C' était l' époque également où la ligue française des droits de l' homme se chargeait d'obtenir la réhabilitation des fusillés pour l' exemple. Le 11 Mars 1930 une loi avait été promulguée pour donner des retraites aux anciens combattants. Les choses bougeaient.
Il fut donc classé service auxiliaire par le conseil de réforme de Nancy et reçut une pension de 30 % pour séquelles de fractures des deux jambes.
Cette reconnaissance aurait du le stabiliser, mais ça lui permit au contraire de justifier ses écarts de conduite. Il gardait un mauvais penchant pour l' alcool et devenait violent lorsqu' il était saoul.
En famille, il ne communiquait pas. Il gardait ses rancoeurs de travail ou de santé pour lui et les noyaient dans la beuverie. Sa pension y passait!.
Marie vivait ça très mal. Alors, elle faisait tout pour lui épargner les motifs de discorde. Elle gardait pour elle beaucoup de choses ou quand elle n' y tenait plus, elle passait voir sa mère, qui bossait au restaurant des abattoirs. Celle-ci lui glissait même parfois de la viande pour nourrir les petits, lorsque la paye de René était bouffée au café.
Parfois René s' emportait contre les enfants et surtout contre le petit Néné, ainsi que l' appelaient les soeurs que Marie continuait de visiter, le jeudi après-midi.
Marie s' interposait pour protéger son fils de la correction, à la ceinture, qui ne manquait pas de pleuvoir , à la moindre occasion!.
Et pourtant René pouvait se montrer gentil. Il se faisait pardonner en gâtant parfois Marie, d' un bouquet ou d' une soie. Mais il replongeait immanquablement dans ses travers, l' absinthe et la bière, surtout lorsque l' actualité faisait remonter à la surface les fantômes du passé.
Ils déménagèrent à nouveau en 1932, pour la naissance d' André. Ils allèrent habiter au 121 de la rue de l' Étang.
Toutes ces maternités, ajoutées aux séances que René infligeait à Marie, épuisaient celle-ci. Elle se flétrissait à la manière des roses passées de saison. A vingt-sept ans, elle en paraissait quarante. Elle avait attrapé une petite toux sèche qui l' étouffait le matin. Le médecin parlait d' angine de poitrine, mais les traitements coûtaient trop chers et la situation empirait.
Pour la naissance de son cinquième enfant, ils habitaient désormais rue Saint-Nicolas, au 79. Gilbert-François, naquit le 23 Octobre 1934.
Marie ne se remit jamais de cette naissance. Elle fût hospitalisée à l' hôpital Central de Nancy où elle commença par faire une fièvre puerpérale qui dégénéra en pneumonie et en insuffisance cardiaque.
Marie décéda au début de l' année 1935, le 29 mars.
Ses trois plus jeunes enfants furent emmenés par les services sociaux et placés dans une ferme des environs de Toul, à Jaillon, précisément. Simone alla chez sa grand-mère. Il ne resta que le petit René avec son père.
René qui vivait déjà très mal, ne se remit jamais de la disparition de sa femme. Il sombra davantage dans l' alcool. Il rabrouait en permanence le petit Néné qui était obligé de venir le rechercher au café quasiment tous les jours.
Leur régime alimentaire s' était simplifié au maximum: patates à tous les repas!. Parfois la grand-mère Schortz glissait un morceau de viande à Néné, qui se faisait matraquer par son père en rentrant, soupçonné par celui-ci d' avoir prélevé un morceau en chemin.
René sombrait dans la paranoïa et la démence: le délirium!.
A un tel régime, on ne tient pas très longtemps. René chopait un teint jaunâtre qui en disait long. Il n' absorbait quasiment plus rien de solide sans le vomir, il n' avait même plus la force d' être violent, alors il était vulgaire.
A la mi-Août 35, son état se dégrada rapidement et on dut l' hospitaliser. Cette cure sans alcool lui donna une rémission de courte durée.
Début Septembre, il ressombra pour cette fois être englouti avec ces êtres diaphanes qui ne le quittaient plus. Il décéda le 3 Septembre 1935, dans le dénuement le plus complet, abandonné de toute famille, sauf du petit René, le seul de ses enfants à suivre son cercueil.
L' OUBLI

L' homme est un ballon
A la naissance
Solidement amarré
Par une toile d' amour
La disparition d' êtres chers
déleste petit homme
Et virevolte dans les turbulences
De la sensibilité
Nouvelles amitiés
Nouveaux amours
Nouvelles amarres
Plus ténues encore
Ta sensibilité, cultive
Petit homme
Apprends à flotter
Être prêt à t' envoler
Fait le bien
Sublime toi
Essuie l' horizon
Des ténèbres
Cherche le ciel bleu
La lumière du beau soleil
Les nuits étoilées
Les lucioles qui t' ont précédées
As-tu déjà senti
Senti le souffle
Présence diaphane
De la dame noire
Coiffée, elle attend
Patiemment
Sûrement
Son dû, elle attend
Est-ce l' épouse
Du rameur
Silencieux rameur
Du fleuve noir
Avec eux
Pas de simagrées
L' humain est
Leur pitance
Oiseaux de proie
Noir
Vautour
Davantage
Ce sont des charognards
Qui se repaissent
De la culture
Du désespoir
Si tu veux les retarder
Regarde moi
Souris moi
Avant
Avant eux
Avant
Leur rictus
De néant.
POST-FACE
Gilbert FOURNIER, mon père était orphelin.
A t-il souffert de l' absence de famille ?, je ne pourrais le dire. Je sais simplement que la famille qu' il a crée, a été pour lui le soleil de sa vie.
Un soleil trop vite terni par la Vie qui ne ménage pas toujours ses sujets.
Je me suis lancé à sa place, dans la recherche de ses racines.
La recherche généalogique est pleine d' embûches.
Mais dans ce domaine, comme dans d' autres, on peut affirmer sans trop se tromper, que la chance sourit aux audacieux ou qu' il faut frapper à la porte, si on veut la voir s' ouvrir.
Cette quête est édifiante.
Une fois que l' on possède le mode d' emploi du système, la persévérance paye.
Des archives départementales aux mairies, sans oublier les registres paroissiaux, on glane progressivement une foule de détails sur la vie de nos ancêtres.
On découvre leurs amours, leurs amitiés, leur passé social et éventuellement leurs démêlés avec la justice.
Cette quête est émouvante, pleine d' espoir.
Attendre pendant des mois un renseignement et vivre dans l' angoisse de ne pas aboutir et tout à coup, comme par enchantement la situation se dénoue pour le meilleur et pour le pire!.
J' ai appris ainsi, moi qui ne suis pas meusien, que mon grand-père m' avait précèdé dans ce département.
Puis j' ai appris, à la lecture de son livret militaire, qu' il avait fait la "grande guerre", dans une des armes les plus dures qui soit: l' infanterie. Car à la manière du pianiste, c' est toujours le fantassin qui trinque.
Et puis, à ma grande stupeur, la lecture a dépassé mes attentes. Cet homme, que je tenais jusque là, pour un héros, avait déserté, fait de la prison, eut des démêlés multiples avec la justice, jusqu'au moment où il rencontre sa femme.
Alors on cherche à comprendre.
Pourquoi, subitement, un garçon qui n' avait jamais fait parler de lui, sort du chemin et se révolte ?.
Seule l' histoire peut donner des éléments de réponse.
Je me suis donc replongé dans la bibliographie.
Et Dieu sait, si elle n' est pas très abondante, concernant ce sujet. Comme si, les auteurs avaient peur de réveiller le passé, ce monstre qui engouffra, dans un conflit, des plus injustes qui soit, tant d' honnêtes hommes, de quelque nationalité que ce soit.
Dans les tranchées, pas de demi-mesures!.
L' artillerie broye tout, impudique fossoyeuse, qui, à la manière d' un assassin, n' hésitait pas à revenir sur les lieux de son crime, pour tourmenter à nouveau. Exhumer ces pauvres corps, les torturer et effrayer ,par ces horribles manipulations, le pauvre spectateur, qui ne comprenait plus, ni le pourquoi, ni le comment.
Comment sortir indemne de ce carnage!. De ces enfers de la Somme, de Champagne, de Verdun et sa région si tristement célèbre ou des Vosges.
René est un écorché vif. Pour atteindre une forme de sagesse, il aurait fallu que sa raison jugule ses passions, mais il n' en avait plus envie. Pourquoi faire cet effort alors que les autres ne l' ont pas fait pendant si longtemps. Alors son humeur explose au gré de sa sensibilité.
Ne pas juger, car à la manière dont on juge, on est jugé.
Mais il faut se souvenir, pour leurs rendre hommage. A ceux qui sont mort sur ces champs de bataille et à ceux qui en sont mort après.
Il faut chanter la Vie, chanter l' Amour et à la manière de Jaurès, faire la guerre à la guerre, qui ne profite qu' à l' industriel et aux politiques, mais jamais aux pauvres bougres.
"Debout les Morts", témoignez, justifiez les égarements des survivants de 14, où devrais-je dire plutôt "sous-vivants!".
Je suis, malgré tout, fier de toi grand-père, je comprends et à l' instar des différentes juridictions qui t' ont condamné, je te donne, bien volontiers les circonstances atténuantes.
Repose en paix et puisses-tu, de là où tu es, éclairer les hommes et faire en sorte que de pareils traumatismes, ne se produisent plus jamais.
Si tous les gars du monde... .
GLOSSAIRE
abattis: argot, se dit des membres.
bassiner: argot, saouler de paroles.
bassotage: patois Lorrain, bricolage de peu d' intérêt.
bobéchon, caboche: argot, la tête.
bougeotte, danse de St Guy: patois Lorrain, remuer sans arrêt.
capharnaüm, souk: endroit mal rangé.
charpagnatte: patois Lorrain, romanichel qui confectionne des charpagnes, corbeilles en osier à deux anses.
châouée: patois Toulois, grosse averse, comparée à une miction de vache!.
chiner: argot, agacer gentiment.
chocottes: patois Lorrain, orties. Avoir les chocottes, avoir la trouille, avoir peur.
coriotte: patois Lorrain, petite lanière, lacet.
couârôye: patois Toulois, assemblée de médisantes.
feûgner, farfeûgner: patois Toulois, fouiller, farfouiller.
galimatia: argot, bouillie.
gaûiller: patois Lorrain, patauger dans la boue.
gosser: patois Lorrain, gaver.
gourbi, cambuse, calougeotte: argot et patois Lorrain,
mauvaise baraque.
goyotte: patois Lorrain, porte-monnaie.
hâbleur: patois Lorrain, beau parleur.
haretâ : patois Toulois, retardé, demi-sauvage ( de haret?, animal domestique retourné à l' état sauvage, ex.: chat haret).
hâties: patois Lorrain, des manières.
grand ièque: patois Lorrain, quelque chose.
kâ: patois Toulois,outil de jardin armé d' un fer plat et de deux dents.
y a pas mèche: argot, il n' y a pas moyen.
les merles ne chanteront plus comme les grives: patois Toulois, les temps vont changer.
mamailler: patois Lorrain, bricoler, surtout de la ferraille.
mout: en patois meusien, d' après André Theuriet
( Sous-Bois ), beaucoup, très, du vieux français moult.
nice: patois Lorrain,"être nice", être ennuyant.
raclotte: patois Toulois, binette.
taûgnât: patois Lorrain, être peu sociable!.