Après avoir lu l' apport, des philosophes passés, à l' étude de ce phénomène, nous étudierons successivement les aspects comportementaux (éthologique), phylogénétique (acquisition évolutive du rire), sociaux et psycho-physiologique.
Nous apprécierons le fait que l' exercice de cet art soit un facteur de régulation social et un apprentissage de la sagesse ainsi que nous le conseille Socrate.
I - Approche philosophique
A) Les grecs:
Platon estime que le rire est engendré par la perception du ridicule chez autrui et qu' il est indigne de l' homme libre.
Aristote le place dans le champ des laideurs.
B) Les latins
Cicéron pense que le rire est permis, mais reconnaît que certains sujets sont proscrits (misère, perversités extrêmes).
C) Le Moyen âge
Deux écoles:
-l' une chrétienne reconnaît en Jésus le modèle de l' homme, une source de joie.
-l' autre issue d’ Aristote soutient que le rire est le propre de l' homme.
Il y a un temps pour rire, un temps pour pleurer.
Au bas Moyen âge apparaît le rire débridé. Le peuple se libère du joug de l' Église.
La Renaissance est marquée par l' épicurien Rabelais pour qui le rire est un instrument thérapeutique d' hygiène mentale.
D) Le XVIIème siècle
Descartes lie plaisir et agressivité.
Spinoza lui trouve une part divine.
Pour Hobbes, le rire marque la maîtrise et le triomphe narcissique du rieur associé à une agression de l' objet risible.
E) Le XVIIIème
Voltaire nie toute part d' agressivité dans le rire. C' est une joie vraie.
Kant le fait naître d' une incongruité, de l' anéantissement soudain d' une attente extrême.
F) Le XIXème
Schopenhauer reprend la notion d' incongruité. Le rire marque la perception subite d' un désaccord entre un concept et l' objet qu' il sert à représenter.
Pour Bain, le rire naît d' une dévaluation dans des circonstances émotionnelles de faible intensité. (L’ émotion nuit au rire)
Pour Bergson le rire est avant tout une sanction, une correction qu' une société ritualisée applique aux comportements sortants de l' ordinaire afin d' obtenir de ses membres une plus grande souplesse d' adaptation. A l' instar d' un malade, le rire châtie certains défauts mais frappe parfois des innocents pour épargner des coupables. L' émotion est son ennemie, le groupe son milieu.
Le rire est un geste social.
Il fait le tour des principales situations comiques:
-perte par l' homme de la maîtrise de l' esprit sur le corps et la prise d' une attitude mécanique, le retour d' une idée fixe, l' impression d' être manipulé tel un pantin.
- l' effet boule de neige
- le leitmotiv
- l' inversion (dupeur dupé)
- le quiproquo (deux sens possibles pour une même situation)
- l' utilisation de mots saugrenus.
- changement de ton (solennel - familier)
En fait la technique essentielle repose sur le maniement du procédé - exagération - dégradation.
Bergson voue au rire une fonction hautement philosophique. Pour lui c' est le remède spécifique de la vanité. Il rappelle à la conscience les amours propres distraits.
Enfin Bergson crée une métaphore fabuleuse en comparant la société à la mer, et ses membres à des vagues qui en s' affrontant produisent une écume blanche légère et gaie: le rire, une mousse à base de sel pétillant comme la gaieté. Mais le philosophe qui en ramasse pour en goûter y trouvera en petite quantité une certaine dose d' amertume!
2 - Ethologie du rire.
L' acquisition du rire se fait dans la petite enfance lors de la socialisation.
L' éclosion du premier rire se fait entre deux et quatre mois.
De quatre à six mois se mettent en place les stimulis déclenchants: tactiles, moteurs (chatouilles) puis auditifs, acoustiques (cinq à six mois): bruits saugrenus.
Au deuxième semestre de vie, les stimulis visuels entrent en jeu et permettent l' établissement de jeux ritualisés. Ex " le coucou" (opposition, disparition, retrouvailles), " Je vais t' attraper" (poursuite, évitement).
Au cours de la deuxième année, l' activité de l' enfant lui permet de créer et reproduire des situations complexes.
Le climat familial doit s' prêter (sécurité + partenaires familiers).
3 - Phylogenèse du rire.
Au cours de l' évolution des espèces, le rire apparaît à la faveur du développement de la musculation faciale spécifique de la mastication et de sa complexification.
Chez les primates, les signaux de jeu sont puissants, peu ambigus et interspécifiques.
L' apprentissage se fait entre jeunes ou entre mère et jeune.
Le signal principal est la "play face" ou mimique de jeu: figure détendue, bouche ouverte.
Ces comportements deviennent héréditaires et sont à la base d' une ritualisation permettant de canaliser l' agressivité et de rendre possible l' établissement de liens durables entre individus.
Chez les humains, les interactions ludiques mère - nourrisson semblent débuter par une modalité tactile: la chatouille. C' est à sa faveur que va éclore une mimique faciale ( play face) accompagnée de quelques expirations saccadées.
4 - Psycho physiologie du rire.
Au point de vue physiologique, le rire stimule, dans un premier temps, le système nerveux autonome orthosympathique avec vasodilatation des vaisseaux de la face, larmoiement, augmentation de la fréquence cardiaque.
Dans un deuxième temps, survient une stimulation durable du système parasympathique avec baisse de la pression artérielle, de la fréquence cardiaque, (broncho dilatation, augmentation de la ventilation pulmonaire), augmentation de l' efficacité pulmonaire, une détente musculaire, une augmentation de l' efficacité digestive (augmentation de la motricité du péristaltisme intestinal, des sécrétions salivaires et digestives).
Enfin le rire libère des endorphines cérébrales qui réduisent les perceptions douloureuses.
Au point de vue psychologique, le rire constitue un retour aux sources des jouissances primaires, au jeu.
C' est une voie spécifique de décharge (défoulement) marquant le plaisir de la maîtrise psychique menacée, mais heureusement retrouvée.
Le comique mêle les pulsions du "ça" (inconscient), les interdictions "surmoïques" (morale) et le besoin de maîtrise du moi.
5 - Aspect Social
Le comique est un processus nécessitant trois intervenants:
- la première personne: spirituelle.
- la deuxième personne: subit l' agression, est l' objet risible.
- la troisième personne: le public, partage l' inhibition. Il a une fonction de soutien d' identification, de réassurance narcissique et de déculpabilisation de la première personne par le partage complice.
Il valorise l' ego.
Dans de nombreuses civilisations, le ridicule et la dérision sont des armes d' exclusion sociale de comportements déviants. Mais aussi, au Moyen Âge, un mode de contrôle du pouvoir!
Venu du fond des temps, la fonction de fou s' est développée auprès des rois de France, parallèlement à la montée du pouvoir royal. Et ce, sans interruption jusqu' a la Renaissance où elle connut son apogée. Elle cesse à la mort de Louis XIV.
Les bouffons procurent aux princes l' amusement, mais aussi un miroir qui reflète les excès de l' ego.
Le premier bouffon est selon la légende, Momus ou Mômos en grec. Il est l' enfant de la nuit, frère de la mort, dérision des immortels. Ses couleurs sont le vert et le jaune, synonymes d' or naissant, de régulus ou petit roi.
Chaque fou, à son entrée en fonction, est géré par un maître es art en folie, son gouverneur, lui même ancien bouffon. Parmi les plus connus: Maître Coq (Hainselinquin-coq), Nabo de Nago, Caillette, Triboulet, Maître Pierre, Brusquet, Thony, Sibilot, Chicot, Angoulevent. Leur nom évoque l' effet dissolvant mercuriel: Hainser, Cailler, Tribouler, Brusquer, Avaler le vent.
Et toujours la marotte ou petite mère, mérotte (caducée de mercure), le capuce à oreilles d' ânes, les grelots (grillé) et le sceptre (du pouvoir spirituel). La disparition du dissolvant du pouvoir royal marquera la fin prochaine de la royauté.
Les véhicules sensoriels du message risible sont:
- visuels: mimiques, images, littérature par le pouvoir d' évocation.
- tactiles: chatouilles.
- auditifs: bons mots, bruits (incongrus, tons inappropriés).
- mixtes: cinéma.
Parmi les sujets préférés: les "softs" de Bergson, les étrangers, les déviants, les objets du pouvoir, le langage, les changements de catégorie ontologique ou sociale (exagération, dégradation). Bref, des interdits tournants autour des pulsions inconscientes, source d' angoisse et de conflit: la sexualité, (l'ano-oralité: caca boudin), l' agressivité. En deux mots, les excès de l' ego.
Mais le rire renforce ce dernier.
La seule façon de réagir nous est suggérée par Socrate: éveiller notre conscience ce qui est ni plus ni moins qu éveiller la spiritualité. Cette quête nous fait glisser du rire vers l' ironie.
Autant le rire renforce l' ego, inconsciemment, par un partage de la déculpabilisation, autant avec l’ ironie, l' objet risible est l' ego lui-même, le soi. Le public devient notre conscience.